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toit, il était absurde ; comme gardien gigantesque de la guillotine, il était logique. C’est là que le bourreau, entre deux exécutions, rangeait son mobilier.

Or, cette nuit-là, des baïonnettes gardaient ce toit-couteau. Ceci ne s’était jamais fait et le Vautour en marqua quelque étonnement, mais il ne s’attarda pas à demander d’explications et il franchit sans encombre, avec son ami, le cordon de soldats qui avaient reçu la consigne de ne laisser passer personne se dirigeant du côté de la rue de la Roquette, excepté le bourreau et ses aides.

Ils avaient été reconnus tout de suite.

Quand ils furent passés, ils entendirent un sergent qui disait :

— Ce sont les aides du bourreau !…

Et quelques soldats, qui les avaient frôlés, firent entendre des paroles de dégoût.

— Ça va bien, fit le Vautour à Patte-d’Oie.

— Oui, chef ! obtempéra Patte-d’Oie.

— Appelle-moi Prosper… Monsieur Prosper… Moi, je t’appelle Denis…

Patte d’Oie parlait avec un certain respect au Vautour et, à l’entendre, il n’était point difficile de deviner que le Vautour tenait une place prépondérante dans cette formidable organisation à la tête de laquelle se trouvait R. C.

Le Vautour portait son pardessus sur le bras malgré la rigueur de la température. Cependant il semblait se défier de celle-ci, puisqu’il avait le cou et le bas de la figure entourés par un énorme cache-nez de laine noire ; il tenait la tête baissée, de sorte que les bords de son chapeau achevaient de dissimuler sa physionomie. Ce qu’on en pouvait apercevoir ressemblait singulièrement à M. Prosper, et le bourreau devait, selon son plan, forcément s’y tromper, d’autant mieux qu’il était de notoriété publique qu’il était myope comme une taupe ce brave M. Hendrick, exécuteur des hautes œuvres de Sa Majesté. Il avait même demandé la permission, les nuits d’exécution de porter lunettes ; mais l’administration le lui avait interdit, ne pouvant se résoudre à avoir un bourreau à bésicles.

Le Vautour devait s’arranger, du reste, pour ne pas se trouver face à face avec lui… Il avait pour cela bien des chances, car la besogne qui lui était départie, et qu’il avait apprise sur le bout du doigt, s’accomplissait les trois quarts du temps en tournant le dos au bourreau, et en silence.

Cependant, le Vautour et Patte-d’Oie furent tout étonnés, en débouchant place de la Roquette, d’entendre des coups de marteau. Est-ce que l’édification de la guillotine n’était point achevée ?

À cette époque, ce n’était pas, en effet, une petite affaire car la guillotine avait encore un échafaud, où l’on accédait par quelques