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déshonorait d’abord ! On les conduisait ensuite à l’échafaud comme par la main !

» Toutes nos précautions avaient été prises, et il n’y avait plus qu’un signe à faire pour que tout éclatât. Mais une nuit, il eut besoin de sa sœur, Liliane. Et pourquoi avait-il besoin de Liliane d’Anjou ?… Tout simplement pour reprendre à Sinnamari, qui les cachait chez lui, tous les papiers compromettants de l’affaire des décorations.

» Ce dernier incident, sans doute, entrait dans le programme et il était entendu depuis longtemps que, pendant que Liliane retiendrait Sinnamari dans sa chambre, on le volerait dans son cabinet de travail… Cécily, dans les Mystères de Paris[1] d’Eugène Sue, n’agit pas autrement, et abuse de sa beauté pour participer au châtiment du notaire Ferrand. Mais le misérable, aussitôt qu’il fut mis en possession des papiers de Sinnamari par le dévouement héroïque de Liliane, alla les rendre à Sinnamari pour rentrer en possession de sa maîtresse !…

» Ça, mon ami, comment appelez-vous cela ?… Ça n’a plus de nom dans aucune langue ! En vérité, en vérité plus j’y songe, et plus je regrette d’avoir dépensé tant de millions pour un homme dont le cœur était si fragile !

» Et, ma foi, je n’aurais pas été fâché de le voir écrasé par la jalousie du Vautour que j’avais fait élever dans l’ignorance de sa naissance. Le Vautour tenta bien de supplanter mon amoureux, mais, au dernier moment, il se réconcilia avec R. C., celui-ci lui ayant enfin appris, malgré mes ordres, qu’il était son frère. Le Vautour, alors, oublia tout pour ne plus songer qu’à venger ses parents. Je vous dis que le Vautour au fond était plein de nobles sentiments. Enfin il est trop tard, n’y pensons plus. »

Longuement encore, Macallan, plume en main, se lamenta. Il gémit sur la belle ordonnance de son roman-feuilleton-vivant, à jamais détruite par la folie amoureuse de R. C. Et il ne parvint à se consoler un peu qu’en faisant un récit des plus dramatiques de la scène finale où le crime se trouvait tout de même puni par la mort de Sinnamari ! Ici, nous devons encore lui laisser la parole :

« Ah ! mon cher ami ! Caché sur une petite planchette d’où je pouvais tout voir, je puis dire que j’ai ressenti là la plus belle émotion de ma vie !… R. C., il faut que je l’avoue, rachetait bien des choses en me procurant de telles délices ! Certes, il faut encore regretter là que la pusillanimité des spectateurs ait fait glisser le rideau au moment le plus intéressant, de telle sorte que je n’ai pas vu l’exécution, mais je l’ai entendue ! Et cela, je crois bien n’en était que plus magnifique. Apprenez, cher ami, que Sinnamari a crié comme un sourd ! Et qu’il a

  1. Les Mystères de Paris, par Eugène Sue.