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de vie qu’une lettre dans laquelle il priait son ami Sinnamari de ne point s’inquiéter de son absence, l’avertissant qu’il faisait un petit voyage à l’étranger pour se remettre des émotions que lui avait causé la soirée de Teramo-Girgenti ! Il ajoutait que, bien qu’il eût été prié par Sinnamari lui-même, il n’avait point jugé bon d’accepter l’invitation à déjeuner du comte et qu’il serait heureux de voir Sinnamari se méfier autant que lui de ce comte qui paraissait être un dangereux compère du roi des Catacombes, s’il n’était le roi des Catacombes lui-même !

Cette dernière hypothèse semblait du reste, aux yeux avertis de Sinnamari, corroborée par la soudaine disparition du comte. Car en vérité, depuis l’éclat de cette fameuse fête, tout le monde disparaissait. Il n’y avait que Sinnamari qui fût resté à Paris, à peu près visible pour tout le monde, et confiant toujours dans sa force. Régine, lui aussi, avait disparu. Il est vrai que les petites filles, les jumelles qui, un moment, avaient, elles aussi, disparu, étaient réapparues dans les conditions annoncées à Régine par Teramo-Girgenti… mais elles avaient disparu à nouveau avec Régine lui-même et sa femme… Tout ce monde s’était enfui sans qu’on en pût dire exactement la cause, pour des pays inconnus ou pour des drames que l’on ignorait…

Sinnamari avait donc demandé et obtenu un congé. Il ne vint rue des Saules que lorsque sa maîtresse le lui permit, c’est-à-dire quarante-huit heures environ après que ce pauvre Eustache Grimm eut été mis au pain et à l’eau dans la masure du fond du jardin où il était surveillé nuit et jour par cet excellent M. Lambert, et d’où il n’eût pu s’échapper, cette masure n’ayant d’autre ouverture que la porte en travers de laquelle M. Lambert couchait.

Liliane semblait avoir pris plaisir à meubler les vieilles pièces de la petite maison de la rue des Saules, à rajeunir avec quelques tentures à la mode et quelques meubles modernes ce pavillon dont les papiers et décorations tombaient en loques sous la moisissure et la dégradation des années, et l’abandon des hommes.

Sinnamari, dans le nid d’amour de la rue des Saules, perdit tout à fait la faculté de raisonner. Sa raison avait pris un congé, et il ne connaissait plus que la douleur et le tourment d’aimer. Qui eût pu venir le troubler dans l’exercice normal de sa passion ? Est-ce qu’il n’était point descendu, un soir qu’on le croyait endormi et que nul n’avait pu le voir, dans le sinistre caveau par l’escalier secret ? Est-ce qu’il n’avait pas constaté lui-même que toutes choses étaient restées en l’état ? Toutes choses qui cachaient le cadavre !… car pour les autres choses, comme cette terre par exemple, ce sol remué, bouleversé, creusé par endroits à une profondeur étonnante, elles présentaient un spectacle nouveau pour lui, mais qui ne l’épouvantait guère, car tout ce travail était la preuve de l’inutilité des recherches de l’homme qui avait osé une nuit descendre ici, derrière lui !…