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lui faisait vis-à-vis en lui demandant des nouvelles de sa propre santé, comme si, oubliant qu’il n’avait pas cessé d’être lui-même, il se rencontrait lui-même !

Cependant, M. Prosper et M. Denis reculèrent. Mais, en même temps qu’ils faisaient, eux, trois pas en arrière, leurs images faisaient, elles, trois pas en avant, et comme ces images arrivaient sous la lumière de la lampe suspendue au plafond et regardaient les aides de bourreau bien en face, les aides du bourreau reconnurent à certaines lignes de la physionomie, au nez par exemple de l’image de M. Prosper, aux tempes de l’image de M. Denis, que ces deux fantômes noirs ne leur ressemblaient pas autant qu’ils l’avaient cru tout d’abord. D’autres auraient pu, plus longtemps, s’y tromper, mais eux étaient bien forcés maintenant de se dire : ces deux reflets de nous-mêmes ne sont pas nous-mêmes !… Et alors, chose extraordinaire, ce phénomène de la ressemblance les épouvanta davantage encore que le phénomène, auquel ils avaient cru, de l’identité ! Ils ne reculèrent plus !… Ils tournèrent le dos à ces deux images muettes et s’enfuirent en appelant à leur secours ! Une terreur folle leur travailla le cerveau, car un sûr instinct les avertissait qu’il allait leur arriver une méchante aventure.

Ils ne s’enfuirent point longtemps. Derrière eux, les ouvriers terrassiers s’étaient levés et les avaient suivis de si près que, sitôt que ces messieurs du bourreau furent retournés ceux-ci leur tombèrent dans les bras.

La force de M. Prosper était respectable et il fallut trois ouvriers terrassiers pour le réduire au silence et à l’immobilité, cependant qu’un seul de ces honnêtes manœuvres suffisait à faire entendre raison à M. Denis.

La raison que faisait M. Denis était alors des plus mélancoliques. Il réfléchissait que le nouvel état où il venait d’entrer et dans lequel il s’était flatté de goûter un repos relatif et, pour le moins, une tranquillité parfaite, ne présentait point dès l’abord tous les avantages qu’il avait imaginés.

Depuis quinze jours, il apprenait par les soins de M. Prosper à faire décemment des nœuds solides, à ficeler les poignets comme il sied et à entourer les jambes ; il avait cru, cette nuit-là, le moment venu de prouver à son professeur que tant d’excellentes leçons n’avaient pas été perdues et c’est lui-même qui était ficelé, noué, entraîné ! Et si bien, ma foi, que, puisqu’il avait une certaine connaissance de cette sorte de travail, il ne pouvait s’empêcher de l’apprécier et de déclarer en son pauvre a parte qu’il n’eût pas mieux fait.

Couchés l’un près de l’autre, chacun sur une table, M. Prosper et M. Denis ne pouvaient correspondre que par leurs regards qui étaient attristés. Leurs yeux se dirent leur inquiétude quand leurs deux corps furent soulevés avec mille précautions.