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— Il n’y a d’autre roi ici que celui-là !

Et comme il avait dit cela, le Vautour ! De quelle voix subitement changée, avec quel geste d’enthousiasme et de dévouement, avec des larmes plein les yeux !… Oui, le Vautour, qu’on n’avait jamais vu pleurer, pleurait !

Les six comprirent que le Vautour désertait leur cause et qu’ils étaient perdus ! Ils se précipitèrent sur les deux hommes, sur les deux chefs, qu’ils enveloppaient maintenant dans la même haine et qu’ils allaient sacrifier dans le même crime. Ce fut une ruée sur les marches du trône. Le premier arrivé fut Patte-d’Oie. Mal lui en prit…

… Mal lui en prit, car le Vautour saisissant tout à coup d’un geste brusque le couteau de Patte-d’Oie, qui était resté fiché derrière lui dans le portrait du roi, lui en porta un coup terrible. Patte-d’Oie s’affaissa et rendit illico son âme au diable avec un abominable juron… Sa propre lame lui était entrée dans le cœur, châtiment éminemment moral…

Le roi saisit à la gorge le second qui se présenta et l’étrangla net. Le troisième ayant trébuché sur les marches ne se releva pas, assommé d’un formidable coup par le Vautour.

Il en restait trois. Ils savaient qu’ils n’avaient plus d’autre espoir de vivre, après leur trahison, que celui de tuer… Mais trois contre deux quand ces deux étaient R. C. et le Vautour ! Cependant, ils ne désespérèrent point et se souvinrent tout à coup des armes que le roi avait jetées si imprudemment sur la table. Ils s’en emparèrent. Mais celui qui avait saisi l’épée de R. C. dut en lâcher immédiatement la poignée. Il venait de recevoir dans le bras une secousse affreuse qui lui fit pousser un cri de désespoir. Il crut son bras foudroyé. Quant à ses deux camarades, revenus sur le Vautour et le roi avec les deux pistolets à répétition dont nous avons parlé, ils les déchargèrent sur R. C. presque à bout portant. Mais quelle ne fut pas leur terreur en voyant le roi sourire à cette effroyable décharge ! Ils crurent qu’il était invulnérable.

C’était un bruit, du reste, qui courait depuis longtemps dans la Profonde. Mais jamais ils n’avaient été à même d’en juger aussi bien que dans ce moment-là. Alors, ils sentirent qu’il n’y avait plus à lutter et tombèrent à genoux en demandant grâce comme des enfants. Sur quoi, le roi, toujours aussi calme, ramassa ses pistolets, qu’ils avaient abandonnés, et, froidement, leur brûla la cervelle. Ils n’eurent même point le temps de s’extasier sur l’incohérence d’une arme qui tantôt tue et tantôt ne tue point. Ils roulèrent sur le tapis et ne se relevèrent plus.

Des six, il ne restait plus que celui qui avait osé toucher à l’épée du roi et qui en avait été si cruellement puni. Il se croyait, lui aussi, condamné à mort. Mais il était brave et il attendait.

— Frappe, dit-il à R. C. Je l’ai mérité.