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voisinage. Le domestique, Didier, affirma que cette femme était restée seule, plusieurs heures, dans la maison, en attendant son maître, et qu’elle s’était enfin décidée à partir, lasse de ne le point voir rentrer. Les choses s’arrangèrent si bien que la conviction de tous fut faite. II y avait un vol accompagné de meurtre. Un homme eût pu, seul, sauver l’accusé, c’était le substitut ; il l’eût pu en perdant sa situation, en renonçant à son mariage. Il garda le silence. La femme, grâce aux soins dévoués qui l’entourèrent ne mourut pas. Le fonctionnaire ne mourut pas ; ses blessures n’étaient point, par un hasard miraculeux, très graves ; le seul qui mourut fut l’ouvrier orfèvre. Il mourut sur l’échafaud ! »

Ces dernières paroles furent prononcées par le comte avec une voix si étrange, que tous les assistants frissonnèrent et qu’il y eut un murmure général d’horreur, comme si le monstrueux forfait judiciaire venait de s’accomplir devant leurs yeux. Liliane d’Anjou, qui était debout derrière le comte, chercha sa main, et l’entendit qui disait :

— Courage !

Un silence effrayant régnait maintenant dans le salon. On attendait… On voulait savoir pour quelle raison formidable Teramo-Girgenti avait tenu à réunir tant de monde autour de ce terrible récit !… On pressentait qu’il allait se passer quelque événement capital pour l’un des personnages qui, peut-être, se trouvait là… Ce drame était ancien ; dans le procès, le nom seul, le nom encore obscur à cette époque d’Eustache Grimm avait été prononcé. Qui donc s’en serait souvenu ? Qui excepté Eustache Grimm lui-même, Régine et Sinnamari ?

Si on avait moins regardé le comte et si on les avait regardés davantage, eux, on eût deviné, peut-être. Mais on ne regardait que le comte.

— Je vous ai dit, reprit-il après ce moment de silence, qu’il semblait avoir occupé à dompter une émotion toute personnelle, je vous ai dit que le mariage du magistrat devait avoir lieu dans la semaine. Il ne se fit pas : un de ces matins-là, on retira de la Seine le cadavre de sa fiancée. Le jeune magistrat avait été le dernier à l’avoir vue vivante, la veille. À ce jour, nulle explication cohérente ne permet de décider s’il y eut crime ou suicide, et pourquoi. Le fiancé, en tout cas, ne fut pas inquiété. Ni chagriné.

» La femme de l’Orfèvre fut assez forte, le jour de l’exécution de son mari, pour se lever, habiller ses enfants et assister avec eux au dénouement de ce tragique imbroglio. Du moins ne purent-ils rien voir, mais ils entendirent le coup de couteau qui retentissait au nom de la justice humaine. Les enfants, depuis des semaines, réclamaient leur père en pleurant.

» Le jour même de l’exécution, la malheureuse qui avait quelques