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— Bah ! Cela fera toujours passer un moment, fit négligemment Sinnamari.

— J’espère, mon cher procureur, que vous ne vous ennuyez pas… Ni vous, mon cher monsieur Eustache Grimm… Ni vous, mon cher colonel… Tiens où donc est le colonel Régine ?

Et il se tourna vers un valet :

— Faites donc dire au colonel Régine que je désirerais le voir.

On alla chercher le colonel, qui s’était retiré, avec sa femme dans un petit cabinet solitaire et qui vint s’asseoir entre Sinnamari et le directeur de l’Assistance publique, en face du comte. Il était plus pâle que jamais… il faisait pitié à tout le monde… Il avait fini par raconter à ceux qui s’étonnaient de sa présence en ces lieux que Teramo-Girgenti lui avait promis de lui retrouver ses deux enfants…

— Que me veut-on ? demandait-il.

— Ce sont ces dames, dit Teramo, qui veulent que je leur raconte l’histoire du roi des Catacombes…

— Commencez ! Je frappe les trois coups… dit Marcelle Férand…

— Il était une fois… dit Liliane d’Anjou.

Le comte commença, après un sourire ami à Liliane :

« Il était une fois, dans les premières années de l’Empire, trois jeunes gens qui s’étaient juré une amitié éternelle… »

À ce début de la narration de Teramo-Girgenti, Sinnamari, Eustache Grimm et le colonel Régine commencèrent de dresser l’oreille, Sinnamari surtout, qui s’était promis de ne s’étonner de rien de ce qui devait arriver de cette soirée et qui, comme nous le verrons, avait pris ses précautions, étant moralement trop averti pour ne point se défier d’une histoire dont le début lui rappelait sa jeunesse et le pacte qui était autrefois intervenu entre Grimm, le colonel et lui. Aussi, dès l’abord affecta-t-il un air assez distrait pendant que ses deux complices, au contraire, écoutaient manifestement le comte avec un très vif intérêt.

— Ils s’étaient juré une amitié éternelle, continuait Teramo. Tinrent-ils leur serment ? Non ! Car il faut vous dire de suite que ces trois jeunes gens étaient incapables d’amitié. Ce sentiment, le plus sacré qui soit, n’avait point de place dans leurs cœurs égoïstes. Il ne pouvait s’agir en la circonstance que d’une convention pratique à s’entraider à travers la vie, dans la bataille quotidienne de l’ambition, des honneurs et de l’argent. À l’âge où d’autres ne songent encore qu’à avoir une maîtresse, ils ne pensaient déjà qu’à devenir riches et puissants. Aucune vertu, mais des vices, des vices tyranniques qu’ils allaient contenter tout de suite. Ils avaient été élevés au même lycée et avaient, dès le plus jeune âge, appris à se connaître. Avant qu’ils ne fussent des hommes, l’association était déjà formée, le pacte était déjà conclu ; ils l’appelaient pacte d’amitié ; ce n’était qu’un pacte d’intérêt, ce ne