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— Pour vous y recevoir, mon maître !… J’ai rêvé que nous aurions là le plus joli coin d’amoureux qui se puisse rêver… Ce n’est point seulement pour moi que je la veux, cette petite maison d’amour… C’est pour vous surtout, mon Sinna… Vous verrez !… Vous verrez !… Je vais en faire une merveille… J’ai des idées déjà pour la décoration… Ce sera charmant… Vous verrez comme nous nous y aimerons, mon beau procureur… Voyez-vous, il ne faut point que nos amours soient comme toutes les amours… Il leur faut un cadre à part… Je vous ai fait attendre longtemps… C’est pour vous aimer davantage… Pensez au jour prochain où, vous ayant fait dire : « Venez, mon maître, tout est prêt pour vous recevoir… », vous viendrez vers celle qui vous attendra !…

Et, disant ces choses, Liliane se faisait câline, si câline, et balançait si joliment sa jambe, sa jambe moulée dans le maillot violet, que Sinnamari, oubliant tout à fait la petite maison de la rue des Saules, ne pensa qu’à la femme… à la femme qui se promettait si tendrement, si amoureusement… L’amour chasse l’image du crime.

— Tout ce que tu voudras, ma chérie… sourit-il, heureux.

La camériste était allée à la porte.

— Dépêchons-nous, madame… La galerie des glaces est vide, ce doit être l’heure du dîner…

Liliane donna congé à Sinnamari et à maître Mortimard, qui rejoignirent Teramo-Girgenti, lequel, suivi d’une véritable cour, arrivait sur le seuil de l’immense salle à manger. Les trois cents invités du dîner étaient arrivés tous « au complet ». Ces trois cents personnages, hommes et femmes, constituaient ce que Paris compte de plus célèbre, de plus à la mode, de plus illustre par l’art, le talent, la richesse, l’habileté, la vertu, la science, le mensonge, le crime et la prostitution. Ce qui n’était qu’au second plan dans la capitale devait arriver après dîner.

Comme Sinnamari et maître Mortimard pénétraient dans la salle à manger, derrière le comte de Teramo-Girgenti qui donnait le bras à Marcelle Férand, ils entendirent Raoul Gosselin qui demandait à son hôte quelques explications sur l’étrange « suisse » qui se tenait debout sur le seuil de la salle. Cet homme était, du reste, l’objet de la curiosité de tous.

C’était un véritable hercule tout habillé de soie rouge ; son profil, qui ressemblait singulièrement à celui d’un oiseau de proie, était à demi masqué par un loup de velours noir derrière lequel flamboyaient des yeux, comme deux escarboucles… Ce géant écarlate s’appuyait sur le pommeau d’une épée monstrueuse à deux tranchants.

Le comte répondit à Raoul Gosselin en passant devant cet homme :

— Mais, monsieur, ce n’est pas mon suisse. Mon suisse à moi est bien plus beau et bien plus grand que cela ! Seulement, il est malade !…