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mademoiselle, c’est du bonheur perdu… Voici une propriété qui est à moi et où je n’ai pas remis les pieds depuis vingt ans… »

— Je vous ai dit cela, Liliane ? Après tout, c’est bien possible… J’ai, en effet, là-bas un coin de terrain inculte dont je n’ai jamais rien fait… Que voulez-vous que j’aille faire rue des Saules ? demanda avec une curiosité aiguë Sinnamari…

— Rien ! C’est justement pour cela que je n’éprouve aucune gêne à formuler mon troisième souhait : donnez-moi donc cette propriété dont vous ne faites rien !

— Oh ! Voilà une idée bizarre ! s’écria Sinnamari.

— Mais, que vous prend-il, mon ami ? Vous voilà tout pâle !… Est-ce ma proposition qui vous met dans un pareil état ?

— Non, Liliane, non… Mais qui est-ce qui vous a donné cette idée-là ?…

— Personne, je vous jure…

— Personne ?… Vous me l’affirmez ?…

— Je vous l’ai juré…

— Oh ! J’y suis maintenant ! s’exclama le procureur.

Et il parut soudain plus troublé.

— Que voulez-vous dire, mon ami ?…

— Rien ! rien !…

Et Sinnamari se passait la main sur le front. Il venait de se souvenir tout à coup d’où était venue la phrase, l’extravagante phrase dont lui avait parlé Dixmer et qui avait été la cause de l’évanouissement de ce jeune homme… Oui, il se rappelait maintenant l’avoir entendue une nuit, et quelle nuit !… Et voilà que cette phrase revenait à ses oreilles… au moment même où Liliane lui demandait de lui faire cadeau de la petite maison de la rue des Saules ! Pouvait-il croire à un simple rapprochement ? Liliane était-elle l’instrument inconscient d’un ennemi inconnu ?… R. C. ?… Pourquoi, mais encore pourquoi ?

— Eh bien ? demanda Liliane.

— Eh bien ! répéta le procureur qui semblait revenir de très loin et qui reprenait peu à peu son sang-froid…

— Mon troisième souhait ? Qu’avez-vous décidé d’en faire ?

— Je ne puis vous donner cette propriété, Liliane, répliqua Sinnamari d’un ton ferme.

— Vraiment ! je le regrette, vous m’auriez fait un très grand plaisir.

Et elle se leva apparemment fâchée, et passa dans sa chambre. Sinnamari voulut l’y suivre, mais elle lui colla la porte sur le nez et tira le verrou. Alors Sinnamari, n’ayant plus pour le dompter le regard de Liliane, cria à la courtisane, à travers la porte, un tas de choses comme celles-ci par exemple : qu’on ne se moquait pas à ce point d’un homme comme lui ; qu’il en avait assez du rôle ridicule qu’elle lui faisait jouer ;