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l’arrêta dans son élan, et, du reste, le bureau était une suffisante barrière entre M. le directeur et M. l’employé. Celui-ci, impassible, continuait :

— Vous comprenez, monsieur le directeur, qu’avec le joli talent dont je dispose, il ne m’est pas plus difficile d’imiter votre écriture que celle de Didier… Que dis-je, imiter ?… faire de votre écriture !… La preuve, la voilà !

Et, prenant sur le bureau du directeur la plume du directeur, il écrivit sur le papier du directeur, avec l’écriture du directeur, ces mots : « M. Lepage est le plus honnête, le plus travailleur, le plus ponctuel des employés. C’est l’employé modèle. Il mérite une gratification. Je la fixe à cinquante mille francs. C’est pour rien ! »

Eustache Grimm regardait son écriture s’allonger sur le papier. Il ouvrait de petits yeux énormes. Rien n’y manquait, ni la boucle affable des fins de mots, ni la barre un peu molle des t, ni la façon d’accentuer, ni rien ! Il n’en fallait pas davantage à un expert pour envoyer un homme à la Guyane ou à l’Abbaye-de-Monte-à-Regret. — Enfin, soyez heureux, monsieur le directeur, acheva Lepage, que je n’aie pas signé la lettre en question, car il n’y a pas une signature au monde que je possède aussi bien que la vôtre !… Et il signa, de la signature d’Eustache Grimm. Eustache Grimm n’en pouvait pas supporter davantage. Il allait certainement rouler sur le parquet quand la porte de son bureau s’ouvrit et l’huissier annonça :

M. le comte de Teramo-Girgenti !

XIV

IL EST PROUVÉ QUE PHILIBERT WAT A BON CŒUR

Si, après avoir quitté le boulevard Saint-Germain, vous longez cette partie de la rue Saint-Dominique qui va de la rue de Bellechasse à la rue de Bourgogne, vous ne tardez pas à trouver sur votre droite une guérite décorée aux couleurs nationales et dans laquelle se tient un pioupiou baïonnette au canon. Guérite et pioupiou sont chargés de veiller sur la sécurité d’une vaste cour au fond de laquelle s’élève une bâtisse de pierres de taille, de ce style que l’on pourrait appeler « ministériel ».

Cette bâtisse est la demeure du ministre de la guerre. Quand on pénètre dans les bureaux de l’état-major, on est tout de suite impressionné par l’ombre et le silence des couloirs, par l’odeur un peu fade qui se dégage des murs. Nul bruit de sabre qui traîne, d’éperon qui