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M. le directeur trempait paisiblement un biscuit dans la liqueur dorée qui, il le proclamait, était âgée de cent deux ans et six mois, et, se léchant les babines, il vit venir à lui en souriant M. Lepage, qui lui faisait un grand salut.

— Mon bon Lepage, nous ; apportez-vous de bonnes nouvelles ? demanda M. le directeur à cet employé fidèle, peut-être moins fidèle cependant qu’il était maigre, si maigre qu’en le voyant à côté du ventre de M. le directeur, on ne savait plus si l’on devait ou s’étonner de l’épaisseur de celui-ci ou se passionner plutôt pour la transparence de celui-là !

— Il y a des nouvelles qui sont bonnes pour les uns et mauvaises pour les autres, répondit sentencieusement M. Lepage.

— Finissons-en ! Que venez-vous me dire, mon ami ?

Et, lâchant son biscuit et son verre, M. Eustache Grimm se croisa les mains sur le ventre. C’était un geste qui lui était depuis longtemps familier, mais maintenant il arrivait à le faire tout juste.

— Monsieur le directeur, pour vous dire d’abord ce qui me tracasse… il se passe ici des choses étonnantes.

— Ah çà ! s’écria le directeur en sursautant sur son fauteuil, ce qui fit osciller le ventre-roi… Ah çà ! Ce ne serait pas encore ce R. C. ?

— Justement ! Je crois bien que c’est lui, monsieur le directeur… J’en suis même sûr, car il s’est arrangé pour que nul n’en ignore !…

— Mais il nous fichait la paix depuis quelques semaines !… Est-ce qu’il va recommencer ?… Ça n’est pas fini, ces plaisanteries-là ?…

— Ça n’en a pas l’air, monsieur le directeur… Vous savez, entre nous, appuya Lepage en lançant à Grimm un coup d’œil que M. le directeur s’efforça de ne point voir… Vous savez avec quel soin je relève nos écritures ?

— Je le sais, mon ami, je le sais, vous êtes un employé précieux…

Lepage ouvrit tout à coup son registre et l’étala sous les yeux d’Eustache Grimm. Celui-ci essaya de se pencher pour mieux voir, mais il fallut que l’employé lui mît le registre sous le nez.

— Vous ne voyez pas là, en marge, ce que j’ai trouvé ce matin dans nos écritures, monsieur le directeur ?

— Ça ?… La note au crayon ?

— Oui, lisez…

Et Eustache Grimm, qui avait son large binocle d’écaille, lut :

« Ces comptes sont faux ! R. C. »

— Bah ! fit M. le directeur en relevant la tête et en reposant son binocle… Voilà que ce R. C. se mêle encore de nos écritures, et qu’il prétend que notre comptabilité n’est pas en règle !… Qui est-ce qui a pu écrire cette note-là ?…

— Est-ce qu’on sait ! Moi, je jette ma langue au chien ! On enferme