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Me Mortimard leva à nouveau vers le plafond ses mains qu’il avait grassouillettes, et encore on ne pouvait savoir si ce geste protestait contre l’injure que l’on faisait à l’un de ses clients ou s’il attestait prudemment que lui, Mortimard, était tout prêt à partager l’opinion du procureur impérial.

— Ainsi, il existe ! continuait maintenant le procureur comme s’il ne s’entretenait qu’avec lui-même. Il existe !… Dixmer avait donc raison !… C’est inouï !… À notre époque !…

Et, se retournant vers Me Mortimard :

— Et vous l’avez vu ?

— Comme je vous vois ! soupira le notaire.

Le procureur s’exclama encore :

— Eh bien !… M. le préfet de police sera, pour ma foi, bien étonné, mais il ne le sera pas plus que moi !…

Ce disant, Sinnamari se rappelait que quelques mois auparavant, M. le préfet de police, dans sa remarquable déclaration faite à un rédacteur de l’Écho du Boulevard, avait appuyé fort habilement sur ce point faible de l’existence du roi Mystère.

Non seulement personne ne pouvait se vanter de lui avoir parlé, mais encore on ne pouvait dire qui en avait parlé pour la première fois et nul ne pouvait se vanter de l’avoir vu jamais !

Il avait sans doute suffi que l’esprit inventif et loustic d’un chroniqueur en mal de copie eût bâti de toutes pièces la silhouette imaginaire de ce prince de conte de fée pour que l’amour du fantastique qui veille toujours au cœur de la première cité du monde s’en fût emparée avec enthousiasme.

Dans les cerveaux troublés, et il faut bien le dire, amusés, ce prince des ténèbres, dont on plaçait le royaume au fond des catacombes, était devenu maître du bien et du mal.

Oui, le sang répandu et le bienfait anonyme, autant de gestes du roi Mystère ! Une souscription populaire en faveur des victimes du terrible hiver de 186…, où le roi Mystère s’était inscrit pour 100 000 francs, avait, comme on peut le penser, donné quelque lustre à la réputation du personnage. C’est même à ce propos que le préfet de police avait jugé bon d’intervenir pour faire cesser une plaisanterie qui menaçait de rendre les services de la préfecture tout à fait ridicules. Il avait, fort sensément, expliqué la souscription par la fantaisie d’un roi de la finance qui tenait à garder l’anonymat. Il avait prié les reporters d’inventer autre chose et de laisser désormais le roi dormir en paix dans ses catacombes…

Sinnamari, maintenant, paraissait furieux. On l’entendait gronder :

— … Et il a son notaire !… Et il a son greffier !… Mais tout cela ne nous dit pas son nom !… Comment s’appelle-t-il ?… Qui est-il ?

Et Sinnamari, retourné vers Mortimard, attendait le nom. Le