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toujours en emportant en croupe le remords. Eh ! le plus souvent, dans la vie, ils ne le connaissent point, et pour peu que l’on fréquente le Palais de Justice, on s’aperçoit que, non seulement ces messieurs ne regrettent rien, mais sont pleins d’ostentation ! Seulement, ils ne sont point tous naturellement procureurs.

Quand la chose arrive une fois dans un siècle, on a vraiment une figure qui compte et qui doit contribuer d’une façon appréciable par son poids dans le plateau du mal. Que le monde donc ne s’en plaigne point, d’abord parce que ça ne lui servirait à rien de gémir, ensuite parce que, en face d’un Sinnamari, la nature doit nécessairement créer trois Saint Vincent de Paul.

De cet examen de conscience auquel s’était livré Sinnamari, l’affaire de la petite maison de la rue des Saules venait donc de sortir. Certes, ç’avait été un crime fameux ! Son plus beau ! Mais, par suite, c’était là une histoire qui ne rayonnait plus que de temps à autre dans sa mémoire ! Qui se souviendrait maintenant de la rue des Saules ? Qui en aurait parlé ? Ni Régine, ni Eustache Grimm à coup sûr. Ni Didier. Surtout Didier, qui était mort ! Alors ?… Alors, l’affaire était bien morte… et la morte était bien enterrée !

Et Sinnamari se souvenait qu’en effet la morte avait été d’autant mieux qu’elle l’avait été « par ses soins ». Une besogne dont il n’avait voulu charger personne !… Ce pauvre Didier lui-même avait en vain offert ses services.

Et il s’était endormi là-dessus.

Soudain, il se réveilla. Sa pendule sonnait deux heures et demie du matin. Il sauta à bas de son lit. Il venait de rêver qu’on lui volait sa morte ! — Décidément, se dit-il, voilà une vieille histoire qui me revient la nuit ! Et qui m’empêche de dormir ! Il faut soigner ça !

Il s’habilla. Ceci était un événement considérable. Sinnamari avait le plus beau sommeil de bête qu’il fût possible de désirer. Il dormait comme une brute et se réveillait comme un ange, la conscience tranquille et le teint pur, la joue fraîche. Il ne rêvait guère. Sa santé physique égalait sa santé morale qui était parfaite. Et voilà qu’il venait de rêver qu’on lui avait volé sa morte !

Il était décidé à aller voir si sa morte était toujours à sa place. Qui donc la lui aurait dérangée ? N’importe ! Il irait ! Il s’étonna d’avoir peut-être pris cette décision dans son sommeil !

Un coup d’œil de hasard au calendrier pendu à la muraille lui avait rappelé une date ! « Tiens ! fit-il, l’anniversaire ! »

Et il pensa que cette date avait été remarquée par lui, la veille, au moment de se mettre au lit, et que de ce puéril détail était sortie toute la tracasserie de cette imagination de morte volée ! Mais cependant, il continuait à s’habiller et il avait hâte d’être là-bas ! Sans savoir