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consternation. C’est à peine s’il pouvait parler… Il laissait échapper des bouts de phrases :

— Monsieur le procureur !… Les enfants… Les enfants étaient sorties avec monsieur… elles sont perdues !… Madame est folle !… Les enfants perdues à la kermesse des Tuileries. Monsieur est fou !… Il veut se suicider…

Enfin, Sinnamari finit par faire expliquer à cet homme que Régine était allé avec ses deux jumelles à la kermesse des Tuileries, que « Madame », un peu souffrante, ne les avait pas accompagnés. Régine et ses deux petites filles avaient déjeuné au restaurant de la kermesse.

Après le déjeuner ils avaient fait le tour du jardin. À un moment, les petites filles demandèrent à monter sur les chevaux de bois, et Régine les installa lui-même dans une petite voiture.

Les chevaux de bois se mirent en marche. Le père fut accosté par un marchand de programmes et de journaux qui lui annonça une catastrophe, retint son attention une seconde, et lui laissa une feuille dans la main. Quand Régine reporta ses regards sur les chevaux de bois qui ralentissaient leur marche, les petites filles avaient disparu !…

Il les chercha partout ! Il cria, appela, ameuta tout le monde, courut partout. Les petites filles avaient disparu !…

À ce moment, il avait regardé la feuille qu’il tenait machinalement à la main. Il n’y avait que deux lettres écrites sur cette feuille : R ! C ! Et Régine, de plus en plus fou, était rentré chez lui, espérant peut-être retrouver ses fillettes, car on leur avait appris à baragouiner leur adresse, mais elles n’y étaient pas, mais elles ne revinrent pas ! On les avait, bien sûr, volées !…

Alors Régine et sa femme, tout à fait fous, avaient passé le reste de la journée et la nuit à courir par la ville, cependant que tous les commissariats étaient en rumeur.

Pourquoi R. C. avait-il volé les deux enfants de Régine ? Qu’est-ce que Régine et lui, Sinnamari, pouvaient bien avoir de commun avec le vengeur R. C. ? Il remonta le cours de son amitié avec Régine ; il s’en fut jusqu’aux années de la plus folle jeunesse. Tout de même, parmi les crimes de Sinnamari, il y en avait un plus grand que les autres, si grand, que le monstre, qui ne connaissait point le remords, se le rappelait quelquefois avec orgueil !

Qu’une telle mentalité surprenne, effraie, déconcerte, il faut cependant l’admettre. L’univers est une merveilleuse balance entre le bien et le mal. Je crois que si le bien l’emportait, toute la mécanique s’affolerait, perdrait l’équilibre, irait au cataclysme du néant. Il faut donc que, puisqu’il est entendu qu’il y a dans un des plateaux de la balance des vertueux sublimes, nous n’hésitions pas à voir dans l’autre des criminels équivalents. Sinnamari était un criminel sublime.

J’ai été frappé de ce fait que, dans les romans, les bandits voyagent