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au milieu de l’attention anxieuse de tous ses auditeurs. Aussi n’était-il point étonnant que pas un de ceux-ci ne se fût aperçu de l’arrivée d’un nouveau personnage qui se prit à écouter de toutes ses oreilles, qu’il avait longues et fort décollées. À ce détail, et aussi à certain profil rappelant celui de ce petit mammifère carnassier du genre martre que l’on appelle fouine, profil qui apparaissait encore assez nettement malgré tout l’embroussaillement d’une barbe de sapeur destinée évidemment à déguiser sa véritable personnalité, nos lecteurs reconnaîtront notre vieil ami Dixmer.

IX

LES AVENTURES DE SALOMON

S’étant glissé aussi modestement qu’il avait pu jusqu’au seuil de la loge de la Grande Hostellerie de la Mappemonde, Dixmer écoutait donc le récit de la mère Héloïse.

— J’ai pris l’omnibus place Clichy ; dans l’omnibus Salomon a été le sujet des conversations de tous les voyageurs, et, quand je leur ai eu raconté qu’il m’aidait la nuit à tirer le cordon, on ne me laissa point tranquille jusqu’au moment où je voulus bien me lever pour approcher Salomon du cordon qui sert au conducteur à prévenir le cocher quand l’omnibus doit s’arrêter ou se remettre en route. Donc, Salomon a tiré le cordon à la place du conducteur, et il l’a fait de si bonne grâce, Sainte Vierge, et d’un coup de bec si fort, si net, si autoritaire qu’on ne se lassait pas de l’admirer et qu’on l’a applaudi comme s’il avait été « une personne véritable ». Mais son succès, au lieu de me réjouir, me faisait de la peine, et je n’en éprouvai que plus de chagrin d’avoir à le quitter. Les larmes m’en sont venues aux yeux…

» Des personnes charitables m’ont demandé la cause de mon émotion. Je leur ai dit que j’allais « louer » Salomon pour quelques jours à M. le comte de Teramo-Girgenti, et j’ai montré le journal. L’annonce leur parut si bizarre que trois des voyageurs, dont une femme, ont voulu m’accompagner jusqu’à la rue de Ponthieu. Nous voilà donc tous en cortège autour de Salomon, rue de Ponthieu. Ah ! monseigneur Jésus ! À ce moment-là, le cœur m’a manqué et j’ai failli revenir sans rien plus vouloir savoir. Mais quoi ! L’année n’a pas été bonne, et ça n’est pas pour vous le reprocher, mais les étrennes ont été plutôt maigres. Enfin, je m’ai crié : « Du courage ! » À la porte de l’hôtel, il y avait une vingtaine de personnes qui attendaient avec des cages et des perroquets. On les faisait entrer une à une et elles ressortaient naturellement une à une, mais elles n’avaient plus ni cage, ni perroquet.