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— Oh ! oh ! fit-il, voilà qui est plus fort que tout… Par les dieux immortels, quel malheur nous menace ?

… Robert Pascal et Gosselin étaient entrés dans la loge derrière le Professeur. Ils la trouvaient comme ils l’avaient toujours connue, pleine à déborder d’objets de piété, de statuettes de la vierge, de saint Joseph et d’enfants Jésus, de chemins de croix et de chapelets pendus en guirlandes au long des murs. Sur le poêle de fonte, un miroton mijotait.

— Étrange ! Étrange ! murmurait le Professeur.

— Mais, quoi ? Que voyez-vous ?

— C’est ce que je ne vois pas qui m’épouvante ! D’abord, je ne vois pas la mère Héloïse, ce qui n’est rien, mais je ne vois pas Salomon, ce qui est bien quelque chose.

— Salomon ! En effet, où est Salomon ? demanda Robert Pascal.

— Où est Salomon ? répéta le peintre… Je ne m’étais pas aperçu de l’absence de Salomon !…

— Rien d’étonnant à cela pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude de la maison. Salomon, quoique perroquet, ne parle pas ! fit le Professeur. Son silence ne saurait vous révéler son absence, mais nous autres qui avons coutume de le voir matin et soir sur son perchoir, qui lui demandons notre clef quand la mère Héloïse n’est pas là ; nous autres qui, pour la première fois, voyons la loge sans Salomon, comprenez que les pires pressentiments nous assiègent !

Le Professeur se rejeta sous le porche en criant :

— Où est Salomon ?… Personne n’a vu Salomon ?

À son appel, une demi-douzaine de locataires accoururent et s’émurent ensemble en constatant la disparition de Salomon ! Quelquefois, la mère Héloïse s’absentait, mais Salomon restait toujours pour garder la loge. C’était un concierge modèle que cet oiseau silencieux, connaissant tous les locataires, prêt à répondre d’un coup de bec habile à leur moindre appel, leur tirant le cordon la nuit, leur donnant leur clef le jour. Et, avec cela, d’une discrétion rare chez un concierge, mais unique chez un perroquet. Bref, le roi des pipelets. C’était la sagesse même, et voilà pourquoi les locataires de la Grande Hostellerie de la Mappemonde l’avaient appelé Salomon. Car, de son vrai nom, il s’appelait Jacquot, comme tous les perroquets.

— Salomon ? Où est Salomon ? Avez-vous vu Salomon ?…

Le Professeur prononçait des discours funèbres.

— Pauvre Salomon ! gémissait-il. Est-il vrai que nous t’ayons perdu ? Tu as connu cette vertu que le monde en général et que ces dames en particulier, qui m’entourent, ne connaîtront jamais : la vertu du silence !

Ces dames houspillèrent le malheureux Professeur, prétendant qu’il était plus bavard à lui tout seul qu’elles toutes réunies… Robert Pascal