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— Non, non, je ne sais pas… Je ne sais rien, gémit-elle… J’avais un père, j’avais une mère, j’avais un frère… Nous vivions heureux !… Mais il doit y avoir longtemps, longtemps… Je ne sais plus… Je ne sais rien, moi…

— Tenez, monsieur, reprend-elle dans ses larmes, tenez… là, là sous ces arbres, notre père nous avait construit, avec quelques planches, une petite maison qui était pour nous tout seuls : mon frère et moi… une petite maison pour jouer… Il n’y avait que nous qui avions le droit d’y aller, et mon frère avait la clef.

Liliane ne s’apercevait pas que son compagnon était presque aussi ému qu’elle… Elle ne s’occupait pas de lui. Elle ne parlait pas pour lui, mais pour elle… Il lui semblait qu’au son de sa voix, ressuscitaient, plus nombreuses, les images, les figures, les heures d’autrefois…

— Allons dans notre demeure, dit-elle, en s’avançant résolument comme si elle eût reconquis d’un coup toutes ses forces, allons dans l’atelier de mon père.

— Que faisait votre père, mademoiselle ?

— Je ne sais pas… mais il avait un atelier avec de jolies tasses dedans…

— Des tasses ?

— Oui, des tasses et des carafes en argent… Je ne sais pas… C’étaient des choses que l’on ne voyait que là… Quelquefois, l’atelier nous faisait peur…

— Comment cela ?

— Oui, mon père allumait du feu dans des fourneaux et on entendait des grands coups de marteau, et mon petit frère disait que papa fabriquait de l’or… Oh ! je me souviens bien, maintenant…

Ils entrèrent dans la maison. Ils s’arrêtèrent un instant dans le corridor.

— Oh ! comme nous avons joué dans le corridor !… Mon petit frère y faisait rouler des billes… Voici l’escalier sur les marches duquel il alignait tous ses soldats de plomb… C’est drôle, monsieur, comme tout cela me revient…

Ils entrèrent dans l’atelier, dans la salle à manger, dans les chambres, partout… et partout elle revécut le passé, comme s’il avait été d’hier. Il semblait que rien n’avait été changé et les meubles familiers occupaient leur place familière. Les ombres de son père, de sa mère, de son frère la suivaient de pièce en pièce et s’entretenaient avec elle. Elle continuait de pleurer doucement… de bonheur… Et elle trouvait maintenant tout naturel que ce jardin, cette maison, cette cour fussent restés ainsi que les lui révélait le souvenir…

Il fallait que ce fût le comte lui-même qui lui fît remarquer combien il était étonnant qu’elle retrouvât tout à sa place, dans la maison, comme si sa mère venait de sortir, comme si son père allait rentrer…