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Teramo-Girgenti ressemblait beaucoup à cette tête de l’apothéose d’Homère, dessinée par Ingres. Seulement, il portait des lunettes d’or, et c’est un ornement qui manquait à Homère. Il était d’une belle taille, les épaules très légèrement voûtées ; tous ses gestes étaient calmes et harmonieux. Sa voix était douce, et il parlait le français avec un léger accent italien qui ne manquait point de saveur.

Wat s’était arrêté soudain au milieu de son rire en percevant une voix, une voix aiguë et désagréable, qu’il avait déjà entendue quelque part, sans qu’il pût préciser où…

La voix criait derrière la porte : « Master Bob ! Master Bob ! Je vais vous raconter l’histoire de Mlle Belladone et l’assassinat du Ponte-Rouge ! »

Le comte, dans le moment que Philibert écoutait cette voix, s’était vivement retourné vers lui. Il le fit entrer, ou plutôt il le poussa dans une pièce assez sombre, meublée à la turque. Là, ne lui laissant pas le temps d’admirer les panoplies, les armes rares, les spécimens uniques de yatagans, de fusils aux crosses incrustées d’argent, de cuivre et d’ivoire qui ornaient les murs, il s’excusa de le recevoir dans ce « cabinet de débarras », mais il tenait à ne lui montrer son hôtel que lorsque son intendant aurait rendu celui-ci digne d’un Parisien aussi averti que l’était Philibert Wat !

Sur quoi, il le pria de s’asseoir, insista pour qu’il prît quelques cuillerées de ses confitures parfumées qu’un domestique nègre, qu’il appelait Ali, avait apportées.

Ces confitures de toutes couleurs brillaient comme une fusion de joyaux dans les cases de cristal d’une immense coupe de ce verre que l’on appelle aventurine, et que seuls obtiennent les ouvriers de Venise par des procédés secrets, verre si remarquable par le semis de ses petits cristaux prismatiques, à quatre faces, très brillants et sans nombre ayant l’apparence du cuivre.

Mais Philibert Wat, qui était une bien petite bouche, ne voulut rien prendre et remercia. Le comte s’étendit sur un divan, et, pendant qu’il prenait des mains d’Ali une sorte d’étui de cristal, au fond duquel on apercevait quelques gouttes d’une liqueur opaline :

— Vous avez tort, mon cher ami, dit-il, de ne point goûter à ces confitures qui me viennent de Fez et qui sont un cadeau annuel de mon ami le seigneur Sidi ben Kadour, ministre de la guerre de Sid’na Mohamet-Ali.

— On raconte, interrompit Wat sans s’émouvoir, que ce Sidi ben Kadour est le plus vieil homme de la terre. Aurait-il vraiment cent trente ans ?

— Mon Dieu ! répliqua le comte, la chose est exacte, je crois bien, et ses cent trente ans ne l’empêchent pas d’être plus jeune que moi, qui n’en ai que vingt ! Vingt ans !… C’est incroyable… comme le temps