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» Je les tiens tous ! rugit-il sourdement. Mon crime a été leur salut !

Et se penchant vers son triste compagnon :

— Vois-tu, Régine, tu es un soldat, tu devrais comprendre ces choses-là… Il y a des moments où le général en chef doit faire le coup de feu… Bonaparte au pont d’Arcole !… Allons, debout ! Nous sommes arrivés !

La voiture venait, en effet, de s’arrêter devant la grille du Palais. Sinnamari en descendit vivement et Régine, faisant un violent effort sur lui-même, suivit le procureur.

En montant l’escalier qui conduisait à son cabinet, escalier qu’avait gravi quelques mois plus tôt l’infortuné Desjardies, Sinnamari sentit que la vague inquiétude que les événements de la nuit avaient, quoi qu’il en eût, laissée au fond de lui-même, s’évanouissait tout à fait. Le lieu dans lequel il se mouvait, l’aspect du monument de justice, de force et de châtiment dont il était le maître incontesté, avaient suffi à lui rendre l’entière confiance dont il avait besoin pour aller jusqu’au bout de son destin.

Péniblement, Régine montait derrière lui. S’il avait pu échapper à cette nécessité de pénétrer avec Sinnamari dans ce cabinet maudit !… Et l’idée seule qu’il allait revoir cette table où Lamblin, avant de tomber, s’était désespérément accroché, ce parquet où il avait roulé en exhalant son dernier soupir et sa suprême malédiction, ce coffre-fort qui avait contenu la raison du crime qui s’était accompli devant lui sans qu’il ait eu le temps de faire un geste pour l’empêcher, du crime dont il avait été l’inconscient complice, du crime qui le sauvait lui… et les autres !… Cette idée faisait encore son pas chancelant, et la sueur lui coulait au front, et la peur le tirait par derrière…

La porte qui donnait sur les bureaux du procureur était entrouverte. Un huissier saluait sur le seuil Sinnamari et Régine.

Mme Demouzin est ici ! fit l’huissier. Elle a demandé M. le procureur impérial. Je l’ai fait attendre dans le cabinet de M. le secrétaire.

— La mère Demouzin ! À cette heure !… bougonna entre ses dents Sinnamari, en faisant passer Régine devant lui… Qu’est-ce qu’elle va encore nous apprendre, cette vieille taupe ? Et il ferma la porte derrière eux.

Il n’y avait encore, de si bon matin, qu’un huissier dans le vestibule de M. le procureur. L’huissier mettait de l’ordre… et écoutait aux portes.

Il ouvrit la porte par laquelle le procureur et Régine venaient de disparaître. Il constata alors que le secrétariat, sur lequel donnait cette porte, était vide, et que Mme Demouzin devait avoir suivi Régine et le procureur dans l’autre pièce.