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les poursuivait : Jamais !… je ne les reverrai plus !… Ils ne reviendront plus jamais.

Et ils eurent la perception nette qu’on soulevait la trappe au-dessus de leur tête… Ils se détournèrent instinctivement, rentrant la tête dans les épaules, fermant les yeux, se bouchant les oreilles.

Et c’était trop horrible… Ils préféraient décidément risquer la mort par les chiens… Ils ouvrirent la porte et grimpèrent, escaladèrent l’escalier, ne pensant qu’à ne pas être rejoints par le rayon qui assassine ou la chanson qui tue… ne pensant même plus aux chiens.

Or, les chiens n’aboyaient plus.

Les malheureux s’aperçurent de cela en débouchant dans la cour.

Les chiens devaient manger, être occupés à dévorer.

Patard et Lalouette virent la porte indiquée par Dédé, la clef sur la serrure…

Et ils ne firent qu’un bond jusque-là.

… Et puis, ce fut la fuite éperdue dans les champs… les champs à travers lesquels ils coururent, comme des fous, au hasard, tout droit devant eux, dans le noir… tombant, se relevant, bondissant plus loin quand ils étaient atteints par un rayon de lune !… un rayon peut-être perce-oreille !…

Enfin, ils arrivèrent à une route… la voiture d’un laitier passait… Ils parlementèrent, se glissèrent dans la charrette, exténués, mourants… et ils se firent conduire à la gare, cachant leur personnalité, disant qu’ils étaient égarés et qu’ils avaient eu peur de deux gros chiens qui les poursuivaient.

Juste à ce moment, on entendit aboyer affreusement les molosses, tout au loin, au fond de la nuit… On devait les avoir lâchés… on devait rechercher les visiteurs inconnus qui avaient laissé derrière eux la porte ouverte… Le géant Tobie devait organiser une battue farouche…

Mais la voiture partit à grande allure… M. Hippolyte Patard et M. Lalouette respirèrent enfin… ils se crurent sauvés… Le grand Loustalot ne saurait jamais, n’est-ce pas ? jusqu’au moment du châtiment, quels étaient ces hommes qui avaient surpris son secret.

CHAPITRE XVIII

Le secret du grand Loustalot


La rue Laffitte était noire de monde. À toutes les fenêtres, des groupes de curieux attendaient que M. Gaspard Lalouette quittât le domicile conjugal pour se rendre à l’Académie française, où il devait prononcer son discours. C’était une fête et une gloire pour le quartier. Un marchand de tableaux, un bibelotier académicien, cela ne s’était encore jamais vu, et les circonstances héroïques au milieu desquelles se déroulait un pareil événement avaient, comme on le pense bien, fortement contribué à mettre toutes les cervelles à l’envers. Les journalistes avaient envahi les trottoirs et exhibaient à chaque instant leurs coupe-files, pour n’être point gênés dans leur reportage, par l’exceptionnel service d’ordre que le préfet de police avait été dans la nécessité d’organiser. Beaucoup de ceux qui étaient là avaient formé le projet non seulement d’acclamer M. Lalouette, mais encore de l’accompagner jusqu’au bout du pont des Arts… dessein, du reste, qu’ils n’eussent pu accomplir car, depuis des heures, on ne passait plus sur le pont des Arts, noir de monde. Enfin, au fond de la pensée de tous gisait la crainte de la nouvelle de la mort à laquelle il fallait bien s’attendre.

Comme M. Lalouette continuait de rester invisible, cette crainte ne faisait que grandir, cette angoisse augmentait avec les minutes qui s’écoulaient.

Or, tous ces gens n’avaient point vu passer M. Lalouette, attendu que le nouvel académicien était, depuis neuf heures du matin, à l’Académie, enfermé avec M. Hippolyte Patard dans la salle du Dictionnaire.

Ah ! les malheureux avaient passé une nuit terrible, et c’est dans un triste état qu’ils étaient revenus chez ce petit-cousin de M. Lalouette qui tenait un petit débit place de la Bastille. Là, Mme  Lalouette les avait fort mystérieusement rejoints. On lui avait naturellement tout raconté, et il s’en était suivi une consultation qui avait duré plusieurs heures. M. Lalouette voulait qu’on allât tout de suite trouver la police, mais M. Patard le toucha par son éloquence et ses larmes et il fut entendu que l’on agirait fort prudemment et de telle sorte que l’esclandre, autant que possible, fût évité et que l’Académie ne s’en trouvât point déshonorée. M. Patard tentait ainsi de faire comprendre à M. Lalouette que, depuis qu’il était académicien, il avait des devoirs qui n’incombaient point au reste des hommes, et qu’il était responsable, pour sa part, telle la vestale antique, de l’éclat de cette flamme immortelle qui brûle sur l’autel de l’Institut.

À quoi M. et Mme  Lalouette crurent devoir répondre que cette fonction glorieuse leur