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taire pour qu’il vienne dans ma cage.

— Ah ! « mon pauvre Monsieur », reprit Patard.

— Oui ! Oui ! Je suis à plaindre, allez ! Ils ont des façons terribles de me faire taire.

— Alors, vous croyez qu’on peut s’en aller, soupira M. Gaspard Lalouette, qui s’étonnait que l’autre ne leur eût pas encore passé la clef.

— Reviendrez-vous me chercher ? demanda l’homme.

— Nous vous le jurons, dit solennellement M. Lalouette.

— Les autres aussi l’ont juré, et ils ne sont pas revenus.

M. Hippolyte Patard intervint pour l’honneur de l’Académie :

— Ils seraient revenus s’ils n’étaient pas morts.

— Ça, c’est vrai… Il les a tués comme des mouches !… Mais vous, il ne vous tuera pas, parce qu’il ne sait pas que vous êtes venus… Mais il ne faut pas qu’il vous voie…

— Non ! non ! gémit Lalouette ! Il ne faut pas qu’il nous voie…

— Il faut être malin ! recommanda l’homme en dressant devant les deux visiteurs une petite clef noire.

Et il donna la clef à M. Hippolyte Patard en lui disant qu’elle ouvrait une porte qui se trouvait derrière la dynamo que l’on apercevait dans un coin. Cette porte ouvrait sur un escalier qui montait à une petite cour, derrière la maison. Là, ils trouveraient une autre porte qui donnait sur la campagne et dont ils n’auraient qu’à tirer les verrous intérieurs. La clef de cette autre porte restait toujours sur la serrure.

— J’ai remarqué tout cela, fit l’homme, quand le géant me promène.

— Vous sortez donc quelquefois de votre cage ? demanda M. Patard qui frissonnait en face d’un pareil malheur oubliant presque le sien.

— Oui, mais toujours enchaîné, une heure par jour, à l’air libre, quand il ne pleut pas.

— Ah ! mon pauvre Monsieur !

Quant à M. Lalouette, il ne pensait qu’à s’en aller. Il était déjà à la porte de l’escalier. Mais il lui sembla entendre tout là-haut des grondements, et il recula.

— Les chiens ! gémit-il.

— Mais oui, les chiens !… répéta l’homme, hostile… Est-il embêtant, ce gros-là… Vous ne sortirez d’ici que quand je vous le dirai, à la fin ! Il faut bien compter une heure avant que Tobie leur porte à manger… Alors, vous pourrez passer… ils ne prendront pas le temps d’aboyer… Quand ils mangent, ils ne connaissent plus rien, ni personne… entendez-vous… quand ils mangent !

L’homme ajouta : « Quelle vie !… Quelle existence !… »

— Une heure encore, soupira Lalouette, qui décidément maudissait le jour où il avait eu l’idée de se faire académicien.

— Moi, je suis bien ici depuis des années !… répliqua l’homme.

Cela sortit de la gorge sur un tel ton farouche que les deux académiciens, l’ancien et le nouveau, eurent honte de leur lâcheté ! M. Lalouette lui-même assura :

— Nous vous sauverons !

Sur quoi le prisonnier se mit à pleurer comme un enfant.

Quel spectacle !

Patard et Lalouette le virent seulement alors dans toute sa misère. Ses vêtements étaient déchirés, mais ils n’étaient point cependant malpropres. Ces déchirures, ces lambeaux évoquaient plutôt l’idée d’une lutte récente, et les deux visiteurs songèrent que le prisonnier tout à l’heure, s’était fait taire par le géant.

Mais quel était donc le sort prodigieux de ce misérable dans sa cage ? Les propos entendus tout à l’heure conduisaient à l’imagination d’un si abominable crime que M. Patard, qui croyait connaître depuis longtemps le grand Loustalot, ne pouvait pas, ne voulait pas s’y arrêter ! Et cependant, comment expliquer autrement que par le crime lui-même, la présence de l’homme derrière les barreaux… de l’homme qui passait au grand Loustalot des formules chimiques pour ne pas mourir de faim.

M. Lalouette, lui, avait compris tout net l’affreuse chose. Il n’hésitait plus. Il était certain maintenant que le grand Loustalot avait enfermé un génie dans une cage et que c’était ce génie-là qui avait fourni à l’illustre savant toutes les inventions qui avaient répandu sa gloire sur le monde. Avec son esprit précis il se représentait la chose avec des contours définitifs. Il voyait, d’un côté de la grille, le grand Loustalot avec un morceau de pain, et de l’autre le génie prisonnier avec ses inventions. Et l’échange se faisait à travers les barreaux.

Le grand Loustalot devait, comme on pense bien, tenir à conserver pour lui tout seul un secret aussi formidable. Il devait y tenir certainement plus qu’à la vie de trois