Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tremblante… M. Hippolyte Patard, connais pas !

— Alors, on m’a trompé à l’Académie ?

— Oui, oui, on vous a trompé à l’Académie, déclara M. Lalouette, d’une voix péremptoire. On vous a tout à fait trompé. « Il n’y a rien de fait ! » Ah ! ils auraient été bien contents que je me présente !… que je m’asseye dans leur fauteuil !… que je prononce leur discours !… et puis quoi encore ?… Moi, ça ne me regarde pas ! je suis un marchand de tableaux… moi !… je gagne honnêtement ma vie, moi !… Tel que vous me voyez, M. Eliphas, je n’ai jamais rien pris à personne…

— À personne ! appuya Mme Lalouette…

— … Et ce n’est pas aujourd’hui que je commencerai !… Ce fauteuil est à vous, M. Eliphas… vous seul en êtes digne… Gardez-le, je n’en veux pas !

— Mais moi non plus, je n’en veux pas ! fit Eliphas de son air supérieurement négligent, et vous pouvez bien le prendre si ça vous fait plaisir !…

M. et Mme Lalouette se regardèrent. Ils examinèrent le visiteur. Il paraissait sincère. Il souriait. — Mais il se moquait peut-être encore d’eux.

— Vous parlez sérieusement, Monsieur ? demanda Mme Lalouette.

— Je parle toujours sérieusement, fit Eliphas.

M. Lalouette toussa.

— Nous vous croyions au Canada, Monsieur !… dit-il en recouvrant un peu de sang-froid, Madame votre mère…

— Vous connaissez ma mère, Monsieur ?

— Monsieur, avant de me présenter à l’Académie…

— Vous vous présentez donc ?

— C’est-à-dire qu’ayant l’intention de me présenter, je voulais être bien sûr que cela ne vous dérangeait pas. Je vous ai cherché partout. Et ainsi j’ai eu l’honneur de me trouver un jour en face de Madame votre mère qui m’a appris que vous étiez au Canada…

— C’est exact ! J’en arrive…

— Ah !… vraiment… Et quand, Monsieur Eliphas, êtes-vous arrivé du Canada ? demanda Mme Lalouette, qui recommençait à prendre goût à la vie.

— Mais ce matin, Madame Lalouette… ce matin même… j’ai débarqué au Havre. Il faut vous dire que je vivais là-bas comme un sauvage et que j’ai parfaitement ignoré toutes les âneries qui se sont débitées en mon absence à propos du fauteuil de Mgr d’Abbeville.

Le couple reprenait des couleurs. Ensemble, M. et Mme Lalouette dirent :

— Ah ! oui !…

— J’ai appris les tristes événements qui ont accompagné les dernières élections chez un ami qui m’avait offert à déjeuner ce matin ; j’ai su que l’on m’avait cherché partout… et j’ai résolu immédiatement de tranquilliser tout le monde en allant voir cet excellent M. Hippolyte Patard.

— Oui ! oui !

— Je me suis donc rendu cet après-midi à l’Académie et, en prenant soin de rester dans l’ombre pour n’être pas reconnu, j’ai demandé au concierge si M. Patard était là. Le concierge m’a répondu qu’il venait de partir avec quelques-uns de ces messieurs… J’affirmai au concierge que la commission pressait… Il me répliqua que je trouverais certainement M. le secrétaire perpétuel chez M. Gaspard Lalouette, 32 bis, rue Laffitte, lequel venait de poser sa candidature à la succession de Mgr d’Abbeville et chez lequel ces messieurs s’étaient rendus en voiture pour le féliciter sans retard !… Mais il paraît que je me suis trompé, puisque vous ne connaissez pas M. Patard !… ajouta avec son fin sourire M. Eliphas de la Nox.

— Monsieur ! Il sort d’ici !… déclara M. Lalouette ; je ne veux pas vous tromper plus longtemps. Tout ce que vous nous dites est trop naturel pour que nous jouions au plus fin avec vous !… Eh bien ! oui ! j’ai posé ma candidature à ce fauteuil, persuadé qu’un homme comme vous ne saurait être un assassin et sûr que tous les autres étaient des imbéciles.

— Bravo ! Lalouette ! approuva Mme Gaspard. Je te retrouve. Tu parles comme un homme ! Du reste, si Monsieur regrette son fauteuil, il sera toujours temps de le lui rendre ! Il n’a qu’à dire un mot et il est à lui !…

M. Eliphas s’avança vers M. Lalouette et lui prit la main.

— Soyez académicien, Monsieur Lalouette ! Soyez-le en toute tranquillité ! en toute sûreté !… quant à moi, je ne suis, soyez-en persuadé, qu’un pauvre homme comme tous les autres… Je me suis cru un moment au-dessus de l’humanité, parce que j’avais beaucoup étudié… et beaucoup pénétré… La triste humiliation que j’ai subie, lors de mon échec à l’Académie, m’a ouvert les yeux. Et j’ai résolu de me châtier, de m’abaisser… je me suis condamné à la retraite… j’ai suivi en cela la règle de ces admirables religieux qui astreignent les