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au cou une belle grosse épaisse chaîne d’or.

Elle était d’un certain âge, avait dû être jolie et d’admirables cheveux blancs lui donnaient un grand air. Elle demanda à ces messieurs ce qu’ils désiraient. M. Patard salua profondément, répondit qu’ils désiraient voir M. Lalouette, homme de lettres, officier d’Académie.

— Qui dois-je annoncer ? interrogea la dame.

M. le secrétaire perpétuel, sur le ton d’un caporal à la manœuvre, commanda :

— Annoncez l’Académie !

Et il fixa ses hommes avec l’intention bien évidente de les flanquer tous à la salle de police s’ils faisaient un faux mouvement.

La dame poussa un léger cri, porta la main à sa poitrine, qu’elle avait opulente, sembla se demander si elle allait s’évanouir, puis finalement rentra dans l’ombre.

— C’est sans doute Mme Lalouette, fit M. Patard ; elle est très bien.

Presque immédiatement, la dame revint avec un gentil monsieur bedonnant, dont le ventre s’adornait d’une belle grosse épaisse chaîne d’or.

Ce monsieur était d’une pâleur marmoréenne. Il s’avança vers les visiteurs sans pouvoir prononcer une parole.

Mais M. Hippolyte Patard veillait. Il le mit tout de suite à son aise.

— C’est vous, Monsieur dit-il, qui êtes M. Gaspard Lalouette, officier d’Académie, homme de lettres, qui posez votre candidature au fauteuil de Mgr d’Abbeville ? S’il en est ainsi, Monsieur, — M. Gaspard Lalouette, qui n’avait pu surmonter son étouffante émotion, faisait signe qu’il en était ainsi, — s’il en est ainsi, Monsieur, permettez à M. le directeur de l’Académie, à M. le chancelier, à mes collègues et à moi-même, M. Hippolyte Patard, secrétaire perpétuel, de vous féliciter. Grâce à vous, il sera entendu une fois pour toutes qu’en France on trouve toujours un citoyen de courage et de bon sens pour faire honte, par son exemple, à la foule stupide.

Et M. le secrétaire perpétuel serra solennellement et solidement la main de M. Gaspard Lalouette.

— Eh bien, réponds, Gaspard ! fit la dame aux cheveux blancs.

M. Lalouette regarda sa femme, puis ces messieurs, puis sa femme, puis encore M. Hippolyte Patard et il lut tant d’encouragement sur la bonne et honnête figure de ce dernier qu’il s’en sentit tout ragaillardi.

— Monsieur ! fit-il, c’est trop d’honneur !… Permettez-moi de vous présenter « mon épouse ».

À ces mots « mon épouse », M. le directeur et M. le chancelier avaient commencé d’esquisser un vague sourire, mais un coup d’œil terrible de M. Patard les arrêta net et les rendit à la gravité de la situation.

Mme Lalouette avait salué. Elle dit :

— Ces messieurs ont sans doute à causer. Ils seront mieux dans l’arrière-boutique, et elle les fit passer dans la pièce du fond.

Cette expression « l’arrière-boutique » avait fait faire une grimace à M. Hippolyte Patard lui-même, mais quand les académiciens eurent pénétré dans cette arrière-boutique-là ils furent tout heureux de reconnaître qu’ils étaient dans un véritable petit musée, arrangé avec le plus grand goût, et où, sur les murs et dans des tables-vitrines, on pouvait admirer des merveilles. Des tableaux, des statuettes, des bijoux, des dentelles, des broderies du plus grand prix étaient disposés.

— Oh ! Madame ! votre arrière-boutique ! s’exclama M. Hippolyte Patard, quelle modestie ! Je ne connais point de plus beau, ni même de plus précieux ou de plus artistique salon dans toute la capitale.

— On se croirait au Louvre ! déclara M. le directeur.

— Vous nous comblez ! affirma Mme Lalouette, en se rengorgeant.

Et tout le monde renchérit sur les splendeurs de l’arrière-boutique.

M. le chancelier dit :

— Cela doit vous faire de la peine de vendre d’aussi belles choses…

— Il faut bien vivre ! répondit humblement M. Gaspard Lalouette.

— Évidemment ! acquiesça M. le secrétaire perpétuel, et je ne connais point de plus noble métier que celui qui consiste à distribuer la beauté !…

— C’est vrai ! approuva la Compagnie.

— Quand je parle de métier, reprit M. Patard, je m’exprime mal. Les plus grands princes vendent leurs collections. On n’est point marchand pour cela. Vous vendez vos collections, mon cher monsieur Lalouette, et c’est bien votre droit.

— C’est ce que je dis toujours à mon mari, monsieur, fit entendre Mme Lalouette, et c’est là l’objet de nos ordinaires discussions. Mais il a fini par me comprendre et sur le Bottin de l’année prochaine on ne lira plus M. Gaspard Lalouette, marchand