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sympathique secrétaire perpétuel, tremblait de toutes ses feuilles de chêne.

Quant à Maxime d’Aulnay, il s’était levé, avait pris des mains de l’appariteur la lettre et l’avait décachetée. Il souriait à toutes les clameurs. Et puisque la séance n’était pas encore ouverte, à cause que l’on attendait M. le chancelier, il lut, et il sourit. Alors, dans les tribunes, chacun reprit :

— Il sourit !… Il sourit !… L’autre aussi a souri !

Maxime d’Aulnay avait passé la lettre à ses parrains, qui, eux, ne souriaient pas. Le texte de la lettre fut bientôt dans toutes les bouches et comme il faisait, de bouche en oreille et d’oreille en bouche, le tour de la salle, M. Lalouette apprit ce que contenait la lettre : « Il y a des voyages plus dangereux que ceux que l’on fait autour de sa cabine ! »

Ce texte semblait devoir porter à son comble l’émoi de la salle, quand on entendit la voix glacée du président annoncer après quelques coups de sonnette, que la séance était ouverte. Un silence consterné pesa immédiatement sur l’assistance.

Mais Maxime d’Aulnay était déjà debout, plus que brave, hardi !

Et il commence de lire son discours.

Il le lit d’une voix profonde, sonore. Il remercie d’abord, sans bassesse, la Compagnie qui lui fait l’honneur de l’accueillir ; puis, après une brève allusion à un deuil qui est venu frapper récemment l’Académie jusque dans son enceinte, il parle de Mgr d’Abbeville.

Il parle… il parle…

À côté de M. Gaspard Lalouette, le professeur murmure entre ses dents cette phrase que M. Lalouette crut, à tort du reste, inspirée par la longueur du discours : Il dure plus longtemps que l’autre !…

Il parle et il semble que l’assistance, à mesure qu’il parle, respire mieux. On entend des soupirs, des femmes se sourient comme si elles se retrouvaient après un gros danger…

Il parle et nul incident imprévu ne vient l’interrompre…

Il arrive à la fin de l’éloge de Mgr d’Abbeville, il s’anime. Il s’échauffe quand, à l’occasion des talents de l’éminent prélat, il émet quelques idées générales sur l’éloquence sacrée. L’orateur évoque le souvenir de certains sermons retentissants qui ont valu à Mgr d’Abbeville les foudres laïques pour cause de manque de respect à la science humaine…

Le geste du nouvel académicien prend une ampleur inusitée comme pour frapper, pour fustiger à son tour, cette science, île de l’impiété et de l’orgueil !

… Et dans un élan admirable qui, certes ! n’a rien d’académique, mais qui n’en est que plus beau, car il est bien d’un marin de la vieille école, Maxime d’Aulnay s’écrie :

« Il y a six mille ans, Messieurs, que la vengeance divine a enchaîné Prométhée sur son rocher ! Aussi, je ne suis pas de ceux qui redoutent la foudre des hommes. Je ne crains que le tonnerre de Dieu ! »

Le malheureux avait à peine fini de prononcer ces derniers mots qu’on le vit chanceler, porter d’un geste désespéré la main au visage, puis s’abattre, telle une masse.

Une clameur d’épouvante monta sous la Coupole… Les académiciens se précipitèrent… On se pencha sur le corps inerte…

Maxime d’Aulnay était mort !

Et l’on eut toutes les peines du monde à faire évacuer la salle.