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M. Lalouette se dirigea vers la porte, mais il trouva entre elle et lui Ajax et Achille qui s’opposèrent formellement, sans grands discours, à ce qu’il fît un pas de plus dans cette direction.

Le malheureux, alors, tout à fait ahuri, et ne comprenant rien à sa situation, appela.

Et puis, il se tut, car sa voix avait le don d’exaspérer, semblait-il, les deux chiens qui montraient des crocs terribles.

Il recula. Il alla à la fenêtre. Il l’ouvrit. Il se disait : si je vois passer le géant, je lui ferai signe, car, certainement, le grand Loustalot m’a tout à fait oublié ici avec ses chiens.

Mais il ne vit passer personne… Au-dessous de lui, c’était un désert de neige, un grand silence tout blanc… personne dans la cour, personne dans la campagne… et la nuit allait venir rapide, selon sa coutume en cette saison.

Il se retourna, ruisselant de sueur malgré le froid, assailli de mille tristes pressentiments. Les chiens avaient fermé leurs gueules. Il eut l’idée audacieuse de les caresser. Les gueules se rouvrirent…

Et soudain, pendant que les gueules ne hurlaient pas encore, une clameur humaine, — oh ! bien certainement humaine, follement humaine, — horriblement, remplit l’espace, et il en eut encore les moelles glacées. Il se rejeta à la fenêtre, il vit l’espace… l’espace désert tout blanc qui avait vibré de ce cri forcené, mais à son oreille, maintenant, il n’y avait plus que le double hululement formidable des molosses qui avait recommencé. Et M. Gaspard Lalouette se laissa tomber sans forces sur une chaise, les mains aux oreilles… Alors il n’entendit plus rien, et pour ne plus voir les gueules ouvertes, il ferma les yeux.

Il les rouvrit au bruit d’une porte que l’on poussait. C’était M. Loustalot. Les chiens s’étaient tus à nouveau. Tout s’était tu. Jamais rien n’avait été plus silencieux que cette maison.

Le grand Loustalot gentiment s’excusa :

— Je vous demande pardon de vous avoir quitté un instant… Vous savez, quand on fait une expérience… Mais vous n’étiez pas seul, ajouta-t-il, en ricanant drôlement… Ajax et Achille vous ont tenu compagnie, à ce que je vois… Oh ! ce sont de vrais chiens d’appartement.

— Cher maître, répondit, la voix un peu altérée, M. Lalouette qui se remettait de son émotion en retrouvant un Loustalot si aimable et si naturel… cher maître… j’ai entendu tout à l’heure un cri terrible.

— Pas possible ! fit Loustalot étonné… ici ?

— Ici.

— Mais il n’y a personne que mon vieux Tobie et moi, et je viens de le quitter.

— C’est sans doute, alors, dans les environs.

— Sans doute… Bah ! quelque braconnier de la Marne… quelque querelle avec un garde… mais, en effet, vous me paraissez tout ému… Voyons, Monsieur Lalouette, ce n’est pas sérieux… remettez-vous… attendez, je vais fermer la fenêtre… là, nous sommes chez nous… et maintenant, causons comme des gens raisonnables… Est-ce que vous n’êtes pas un peu fou de venir me demander, à moi, ce que je pense du secret de Toth et de la chanson qui tue ? Cette affaire de l’Académie est extraordinaire, mais il faut se garder de la rendre plus extraordinaire encore avec toutes les bêtises de leur Eliphas, de leur Taillebourg, de leur je ne sais quoi, comme dit cet excellent M. Patard. À ce qu’il paraît qu’il est malade, ce pauvre Patard ?

— Monsieur, c’est M. Raymond de la Boissière qui m’a conseillé de me rendre chez vous.

— Raymond de la Boissière, un fou !… un ami de la Bithynie… un Pneumatique… ça fait tourner les tables, et on appelle ça un savant ! Il doit savoir ce que c’est que le secret de Toth, lui, qu’est-ce qu’il vous envoie faire chez moi ?

— Eh bien, voilà ! J’étais allé chez lui, parce qu’on parlait beaucoup, depuis quelques jours, du secret de Toth sans savoir ce que c’était. Il faut vous dire que l’Eliphas dont on s’est d’abord moqué apparaît maintenant terrible à tout le monde et qu’on a fait des perquisitions chez lui, dans son laboratoire de la rue de la Huchette, et qu’on a découvert là, sur les mystères de l’Humanité, des formules qui ne sont point aussi inoffensives qu’on pourrait le croire, car il s’y mêle assez de physique et de chimie, paraît-il, pour faire passer à distance, les gens de vie à trépas !

— Dans ce genre-là, ricana le grand Loustalot… il y a la formule de la poudre à canon…

— Oui, mais elle est connue… tandis qu’il y a une formule, paraît-il, qui n’est pas connue de tout le monde et qui est la plus dangereuse de toutes… c’est ce qu’on appelle le secret de Toth… À ce qu’il paraît que sur tous les murs du laboratoire de la