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l’assistance, le bureau et aussi sur la figure attristée du membre de l’illustre assemblée chargé de le recevoir.

À l’ordinaire, ce dernier personnage apporte à cette sorte de cérémonie une physionomie féroce, présage de toutes les tortures littéraires qu’il a préparées à l’ombre de son discours. Ce jour-là, il avait la mine compatissante du confesseur qui vient assister le patient à ses derniers moments.

M. Lalouette, tout en considérant attentivement le spectacle de cette tribu habillée de feuilles de chêne, ne perdait pas un mot de ce qui se disait autour de lui. On disait :

— Ce pauvre Jehan Mortimar était beau et jeune, comme lui !

— Et si heureux d’avoir été élu !

— Vous rappelez-vous quand il s’est levé pour prononcer son discours ?

— Il semblait rayonner… Il était plein de vie…

— On aura beau dire, ça n’est pas une mort naturelle…

— Non, ça n’est pas une mort naturelle…

M. Gaspard Lalouette ne put en entendre davantage sans se retourner vers son voisin pour lui demander de quelle mort on parlait là, et il reconnut que celui à qui il s’adressait n’était autre que le professeur qui, tout à l’heure, l’avait renseigné déjà, d’une façon un peu bourrue. Cette fois encore, le professeur ne prit pas de gants :

— Vous ne lisez donc pas les journaux, Monsieur ?

Eh bien ! non, M. Lalouette ne lisait pas les journaux ! Il y avait à cela une raison que nous aurons l’occasion de dire plus tard et que M. Lalouette ne criait pas par-dessus les toits. Seulement, à cause qu’il ne lisait pas les journaux, le mystère dans lequel il était entré en pénétrant, pour vingt francs, sous la voûte de l’Institut, s’épaississait à chaque instant davantage. C’est ainsi qu’il ne comprit rien à l’espèce de protestation qui s’éleva quand une noble dame, que chacun dénommait : la belle Madame de Bithynie, entra dans la loge qui lui avait été réservée. On trouvait généralement qu’elle avait un joli toupet. Mais encore M. Lalouette ne sut pas pourquoi. Cette dame considéra l’assistance avec une froide arrogance, adressa quelques paroles brèves à de jeunes personnes qui l’accompagnaient et fixa de son face-à-main M. Maxime d’Aulnay.

— Elle va lui porter malheur ! s’écria quelqu’un.

Et la rumeur publique répéta :

— Oui, oui, elle va lui porter malheur !…

M. Lalouette demanda : « Pourquoi va-t-elle lui porter malheur ? » mais personne ne lui répondit. Tout ce qu’il put apprendre d’à peu près certain, c’est que l’homme qui était là-bas, prêt à prononcer un discours, s’appelait Maxime d’Aulnay, qu’il était capitaine de vaisseau, qu’il avait écrit un livre intitulé : « Voyage autour de ma cabine » et qu’il avait été élu au fauteuil occupé naguère par Mgr d’Abbeville. Et puis le mystère recommença avec des cris, des gestes de fous. Le public, dans les tribunes, se soulevait, et criait des choses comme celle-ci :

Comme l’autre !… N’ouvrez pas !… Ah ! la lettre !… comme l’autre !… comme l’autre !… Ne lisez pas !… Ne lisez pas !…

M. Lalouette se pencha et vit un appariteur qui apportait une lettre à Maxime d’Aulnay. L’apparition de cet appariteur et de cette lettre semblait avoir mis l’assemblée hors d’elle. Seuls, les membres du bureau s’efforçaient de garder leur sang-froid, mais il était visible que M. Hippolyte Patard, le