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drôlatiquement, l’arcade sourcilière. Il regardait la place où Martin Latouche allait prononcer son discours.

Une minute ! Une minute encore ! Et le président allait ouvrir la séance… si… si Martin Latouche arrivait… car il n’était pas là !… Non ! Non ! Il n’était pas là !… Ses parrains en vain l’attendaient… se tenant à la porte, anxieux, désolés, et retournant vingt fois la tête.

Aurait-il reculé au dernier moment ?… aurait-il eu peur ?…

C’est ce que se demandait M. Hippolyte Patard qui, à cette pensée, reprit toute sa couleur citron…

Ah ! quelle existence !… quelle existence pour M. le secrétaire perpétuel !

En voilà un — M. le secrétaire perpétuel, — qui eût voulu voir la cérémonie terminée… heureusement terminée !…

Soudain, M. Hippolyte Patard se leva tout droit, l’oreille tendue vers une lointaine clameur… Une clameur venue du dehors… qui approchait… qui courait… une clameur d’enthousiasme, sans doute… accompagnant Martin Latouche…

— C’est lui ! dit M. Hippolyte Patard tout haut…

Mais le bruit fait de cris, de rumeurs farouches, grossissait dans des proportions menaçantes, et maintenant, il n’était rien moins que rassurant.

Mais on était dans l’impossibilité de comprendre ce qu’ils criaient dehors !…

Et toute la salle qui aspirait jusqu’alors, par des centaines et des centaines de bouches, la même émotion, dans un même souffle, cessa tout à coup de respirer !

Une tempête sembla entourer la coupole… La vague populaire battit les murs, fit claquer des portes… des soldats, des gardes reculèrent jusque dans la salle… Et l’on commença de distinguer, parmi tant de tumulte, une sorte de grondement particulier. C’était comme un infini gémissement lugubre.

M. Hippolyte Patard sentit ses cheveux se dresser sur sa tête.

Et une forme de bête humaine, un paquet monstrueux roula, jupes en loques, corsage arraché, le tout surmonté d’une chevelure de gorgone que des poings crispés arrachaient, pendant qu’une bouche, qu’on ne voyait pas, hurlait :

— Monsieur le Perpétuel ! Monsieur le Perpétuel !… Il est mort !… vous me l’avez tué !…


CHAPITRE VI

La « Chanson qui tue »


L’auteur de ce cruel ouvrage renonce à donner une idée de la cohue sans nom qui suivit ce coup de théâtre.

Ainsi, Martin Latouche était mort ! Mort comme les autres ! Non point en prononçant son discours de réception sous la coupole, mais dans le moment même où il allait se rendre à l’Académie pour le lire, alors qu’il se disposait, en somme, comme les deux autres, à prendre possession du fauteuil de Mgr d’Abbeville !

Si l’émotion de l’assistance, autour de la vieille Babette, hurlante, toucha à la folie, celle de la foule, au-dehors, et dans tout Paris ensuite, ne connut guère de bornes plus raisonnables.

Il faut, pour se la rappeler dans toute son intégrité, relire les journaux qui parurent le lendemain de cette nouvelle et abominable catastrophe. Une note de la rédaction du journal l’Époque (N.D.L.R.) fait entrevoir assez exactement l’état des esprits.

La voici :

« La série continue ! Après Jehan Mortimar, après Maxime d’Aulnay, voici Martin Latouche qui meurt sur le seuil de l’Immortalité, et le fauteuil de Mgr d’Abbeville reste toujours inoccupé ! La nouvelle de la fin subite du troisième académicien qui tenta de s’asseoir à la place que convoita le mystérieux Eliphas s’est répandue hier soir dans Paris avec la rapidité et la brutalité de la foudre. Et nous ne saurions mieux faire, en vérité, que d’appeler à notre secours le tonnerre lui-même, pour donner une idée de ce qui se passa dans la capitale, pendant les quelques heures qui suivirent l’incroyable événement. Certains parurent frappés comme du feu du ciel, et, ayant perdu l’esprit, se répandirent dans les rues, dans les cafés, au théâtre, dans les salons, en tenant de tels propos imbéciles, qu’on se demande comment il peut se trouver dans la Ville Lumière, à notre époque, des gens sensés pour les écouter. Ah ! Nous ne perdrons point notre temps à répéter ici toutes les bêtises qui ont été proférées ! Et ce M. Eliphas de Saint-Elme de Taillebourg de La Nox, au fond de sa monstrueuse retraite, doit bien s’amuser. Quant à nous, nous avons fini de rire. Nous proclamons hautement notre opinion que nous n’avions que laissé pressentir après la mort de Maxime d’Aulnay… « Non ! non ! Toutes