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soupirs qui semblent rendre la vie aux plongeurs qui ont disparu, un temps anormal, sous les eaux.

— Ah ! monsieur Martin Latouche ! fit-il, quel soulagement de vous entendre parler ainsi !… Je ne vous cache pas qu’avec toutes les histoires de votre Babette, je commençais moi-même à douter de la simple vérité qui doit cependant crever les yeux à tout homme de bon sens !…

— Oui ! oui ! ricana doucement Martin Latouche… je vois ça d’ici… le vielleux !… l’affaire Fualdès… mes rendez-vous avec MM. Mortimar et d’Aulnay… leur mort qui s’ensuit… les phrases terribles prononcées dans mon petit bureau mystérieux…

… — C’est vrai ! interrompit Hippolyte Patard… je ne savais plus que penser…

M. Martin Latouche prit les mains de M. le secrétaire perpétuel, dans un geste de grande confiance et de subite amitié…

— Monsieur le secrétaire perpétuel, fit-il… je vais vous prier d’entrer dans mon petit bureau mystérieux…

Et il lui sourit. Il continua :

— Il faut que vous connaissiez tous mes secrets… je veux vous les confier à vous… qui êtes un vieux garçon, comme moi… Vous me comprendrez !… Et, sans trop me plaindre, vous en sourirez !…

Et Martin Latouche, entraînant M. le secrétaire perpétuel, arriva à la petite porte du petit mystérieux bureau, qu’il ouvrit avec une clef spéciale « une clef qui ne le quittait jamais », dit-il.

— Voilà la caverne ! fit cet honnête homme en poussant la porte.



L’existence d’un collectionneur


C’était une pièce de quelques mètres carrés. La fenêtre en était encore ouverte et, sur le parquet, une table et un fauteuil étaient renversés, et des papiers, des objets divers avaient roulé partout dans un grand désordre. Une lampe sur un piano éclairait à peu près les murs où étaient suspendus les instruments de musique les plus bizarres. M. Hippolyte Patard, au centre de tout ce bric-à-brac, ouvrait de grands yeux inquiets.

Quant à Martin Latouche, après avoir refermé la porte à clef, il était allé à la fenêtre. Il regarda au-dehors, un instant, puis referma aussi cette fenêtre.

— Cette fois, je crois bien qu’il est parti, dit-il. Il a compris que ce soir encore, il n’aurait rien à faire !…

— De qui parlez-vous ? demanda M. Hippolyte Patard qui était à nouveau, fort peu rassuré.

— Eh mais ! du « vielleux ! » comme dit ma Babette.

Et, tranquillement, il remit la table et le fauteuil sur leurs pieds, puis il sourit, de toute sa bonne figure enfantine, à M. le secrétaire perpétuel, et lui dit, à voix basse…

— Voyez-vous, monsieur le secrétaire perpétuel, ici, je suis vraiment chez moi !… Ça n’est pas aussi bien rangé que dans les autres pièces, mais la Babette n’a pas le droit d’y mettre les pieds !… C’est là que je cache mes instruments de musique, toute ma collection… si Babette savait jamais !… elle mettrait tout cela au feu !… Oui, oui ! ma parole !… au feu !… Et ma vieille lyre du Nord et ma harpe de ménestrel qui date ni plus ni moins que du XVe siècle… Et mon nabulon ! Et mon psaltérion… Et ma guiterne !… Ah ! Monsieur le secrétaire perpétuel, avez-vous vu ma guiterne ?… Regardez-là !… et mon archiluth !… Et mon théorbe !… Tout au feu ! au feu !… Et ma mandore !… Ah ! vous regardez ma guiterne !… c’est la plus vieille guitare qu’on connaisse, savez-vous bien !… Eh bien ! elle aurait jeté tout cela au feu !… Oui ! oui !… c’est comme je vous le dis !… ah ! elle n’aime pas la musique !…

Et Martin Latouche poussa un soupir à fendre le cœur de M. Hippolyte Patard…

— Et tout ça… continua le vieux mélomane, tout ça, à cause qu’elle a été élevée dans toute cette sotte histoire de Fualdès… dans notre jeunesse, à Rodez !… on ne parlait encore que de ça ! les vielleux qui tournaient leur manivelle devant la Bancal !… La Babette, Monsieur le secrétaire perpétuel, n’a jamais pu voir un instrument de musique… Vous ne saurez jamais… jamais toutes les imaginations qu’il m’a fallu pour faire entrer ici ces instruments-là… Tenez ! en ce moment, je veux acheter un orgue de Barbarie !… c’est comme cela qu’on les appelle, mais c’est un des plus vieux orgues de Barbarie qui soient !… Figurez-vous que c’est une veine de l’avoir découvert !… le pauvre diable qui moud de la musique avec cet instrument ne se doute pas du trésor qu’il a dans la main… je l’ai rencontré au coin du Pont-Neuf et du quai, un soir, vers quatre heures… Le bonhomme demandait l’aumône… je suis un honnête homme… je lui ai proposé cinq cents francs de sa vieille boîte… L’affaire