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Cette déclaration fit dresser l’oreille à tout le monde et comme il s’en fallait encore d’un quart d’heure que l’on procédât au scrutin, cause de la réunion, ce jour-là, de tant d’Immortels, on pria M. de la Beyssière de vouloir bien s’expliquer.

L’académicien constata, d’un coup d’œil circulaire, que personne ne souriait et que M. Patard avait perdu son petit air de facétie.

Alors, d’une voix grave, il dit :

— Nous touchons ici au mystère. Tout ce qui vous entoure et qu’on ne voit pas est mystère et la science moderne qui a, mieux que l’ancienne, pénétré ce que l’on voit, est très en retard sur l’ancienne pour ce que l’on ne voit pas. Qui a pu pénétrer l’ancienne science a pu pénétrer ce qu’on ne voit pas. On ne voit pas le «  mauvais sort », mais il existe. Qui nierait la veine ou la déveine ? L’une ou l’autre s’attache aux personnes ou aux entreprises ou aux choses avec un acharnement éclatant. Aujourd’hui on parle de la veine ou de la déveine comme d’une fatalité contre laquelle il n’y a rien à faire. L’ancienne science avait mesuré, après des centaines de siècles d’étude, cette force secrète, et il se peut, — je dis il se peut, — que celui qui serait remonté jusqu’à la source de cette science eût appris d’elle à diriger cette force, c’est-à-dire à jeter le bon ou le mauvais sort. Parfaitement.

Il y eut un silence. Tous se taisaient maintenant en regardant le Fauteuil.

Au bout d’un instant, M. le chancelier dit :

— Et M. Eliphas de la Nox a-t-il véritablement pénétré ce qu’on ne voit pas ?

— Je le crois, répondit avec fermeté M. Raymond de la Beyssière, sans quoi je n’aurais pas voté pour lui. C’est sa science réelle de la Kabbale qui le faisait digne d’entrer parmi nous.

La Kabbale, ajouta-t-il, qui semble vouloir renaître de nos jours sous le nom de Pneumatologie, est la plus ancienne des sciences et d’autant plus respectable. Il n’y a que les sots qui puissent en rire.

Et M. Raymond de la Beyssière regarda à nouveau autour de lui. Mais personne ne riait plus.

La salle, peu à peu, s’était remplie. Quelqu’un demanda :

— Qu’est-ce que c’est que le secret de Toth ?

— Toth, répondit le savant, est l’inventeur de la magie égyptiaque et son secret est celui de la vie et de la mort.

On entendit la petite flûte de M. le secrétaire perpétuel :

— Avec un secret pareil, ça doit être bien vexant de ne pas être élu à l’Académie française !

— Monsieur le secrétaire perpétuel, déclara avec solennité M. Raymond de la Beyssière, si M. Borigo ou M. Eliphas, — appelez-le comme vous voulez, cela n’a pas d’importance, — si cet homme a surpris, comme il le prétend, le secret de Toth, il est plus fort que vous et moi, je vous prie de le croire, et si j’avais eu le malheur de m’en faire un ennemi, j’aimerais mieux rencontrer sur mon chemin, la nuit, une troupe de bandits armés, qu’en pleine lumière cet homme, les mains nues !



Vous m’avez vu, moi, toucher du bois ?


Le vieil égyptologue avait prononcé ces derniers mots avec tant de force et de conviction, qu’ils ne manquèrent point de faire sensation.

Mais M. le secrétaire perpétuel reprit avec un petit rire sec :

— C’est peut-être Toth qui lui a appris à se promener dans les salons de Paris avec une robe phosphorescente !… À ce qu’il paraît qu’il présidait les réunions des Pneumatiques chez la Belle Madame de Béthynie, dans une robe qui faisait de la lumière !…

— Chacun, répondit tranquillement M. Raymond de la Beyssière, chacun a ses petites manies.

— Que voulez-vous dire ? demanda imprudemment M. le secrétaire perpétuel.

— Rien ! répliqua énigmatiquement M. de la Beyssière ; seulement, mon cher secrétaire perpétuel, permettez-moi de m’étonner qu’un mage aussi sérieux que M. Borigo du Careï trouve, pour le railler, le plus fétichiste d’entre nous !

— Moi, fétichiste ! s’écria M. Hippolyte Patard, en marchant sur son collègue, la bouche ouverte, le dentier en avant, comme s’il avait résolu de dévorer d’un coup toute l’égyptologie… Où avez-vous pris, monsieur, que j’étais fétichiste ?

— En vous voyant toucher du bois quand vous croyez qu’on ne vous regarde pas !

— Moi, toucher du bois, vous m’avez vu, moi, toucher du bois ?

— Plus de vingt fois par jour !…

— Vous en avez menti, monsieur !

Aussitôt on s’interposa. On entendit des : «  Allons, Messieurs !… Messieurs !  » et des :