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LE CRIME DE ROULETABILLE
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donné à Roland celle main qu’elle lui avait ôtée le matin et qu’il a couverte de baisers, le soir ?

— Les misérables ! s’écria Rouletabille en éclatant de rire…

Je le regardai dans l’ahurissement le plus parfait…

— Tu trouves ça risible ? balbutiai-je.

— Eh ! mon Dieu, oui ! tu ne penses pas que je vais pleurer pour des enfantillages pareils ! Si tu connaissais Roland Boulenger tu saurais qu’il ne peut pas avoir une femme à côté de lui sans se livrer à quelque manifestation plus ou moins extravagante, mais cela n’a de conséquence que pour celles qui le veulent bien…

— Tout de même, avoue que tu n’es pas tranquille, car si tu sais tout cela, c’est que tu ne cesses de surveiller ta femme…

— Je suis tout à fait tranquille et je ne surveille pas ma femme ! si je sais tout cela, c’est que c’est elle qui me renseigne ! Ah ! te voilà bien attrapé bon Sainclair !

— Je n’ai plus rien à dire…

— Eh bien ! moi, je vais commencer, déclara-t-il en se levant. Allons faire un tour sur la digue.

Il mit son bras sous le mien et j’eus bientôt sa confidence :

— Tu as dû remarquer que Mme Boulenger était au moins aussi calme que moi…

— Oh ! elle ! la pauvre sainte femme ! elle en a tant vu !…

— Eh bien, sache que Thérèse, Ivana et moi, nous avons formé un complot : celui d’arracher Roland à une mauvaise influence… Tu as entendu parler de Théodora Luigi ?…

— Certes… Je suis au courant… Le monde entier, du reste, a été au courant, car il y a cela de bon avec Roland Boulenger, c’est qu’on est toujours au courant de tout.

— Il y a des femmes qui ne savent pas cacher leurs bonnes fortunes, me répondit-il… Il y en a même qui se vantent de celles qu’elles n’ont pas eues… mais je ne pense pas que Roland…

— Il est compromettant !… mais passons… alors, vous avez formé un complot… C’est toi qui as eu l’idée de ce complot ?

— Non !

— Comment l’as-tu appris ?

— Tu ferais un bon juge d’instruction, Sainclair ! Je ne vais pas jouer au plus fin avec toi…

— Je t’en prie… c’est grave… dis-moi bien tout…