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LE CRIME DE ROULETABILLE
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VII

Rouletabille en prison


Comment n’en aurais-je pas été persuadé ?

Quand j’écris : « Rouletabille était donc coupable ! » c’est que, dans l’instant, je le croyais tel. Ainsi en est-il pour toutes les parties de ce récit dont je vous fais franchir les étapes en vous mettant dans l’état d’esprit qui était le mien dans le moment même que je vous le décris. Aussi bien n’en ai-je point fini avec les hypothèses ou les certitudes ou les quasi-certitudes relatives au rôle de Rouletabille dans ce qu’on a appelé « son crime ».

Dans le moment je croyais donc Rouletabille coupable, mais je n’en avais pas l’esprit plus clair pour cela. Au contraire, je ne pouvais m’expliquer une attitude aussi basse dans le cas où mon ami eût fait œuvre de justicier, ni aussi mensongère, surtout vis-à-vis de moi-même, s’il avait obéi, sans pouvoir y résister, au mouvement de la bête.

Finalement je me dis qu’il devait être bien malheureux et je résolus de l’aller voir dans sa prison dès le lendemain matin. J’avais justement un « permis de communiquer » signé de la veille par M. Hébert. Après une nuit pendant laquelle je ne pus fermer l’œil, je me dirigeai donc vers la prison où Rouletabille était détenu en pensant avec tristesse combien les drames de l’amour changeaient les hommes même les plus forts…

Je soupirais : « Que n’a-t-il avoué noblement son crime puisqu’il n’a pu s’en défendre : tout le monde lui pardonnait ! Aujourd’hui ce n’est plus qu’un objet de pitié ! » Mais j’étais encore loin de m’attendre à la surprise qui m’était réservée et qui, pour moi comme pour tout le monde, ne fit que corroborer l’opinion où nous étions de la culpabilité du célèbre reporter, dans ces heures néfastes,

Je venais, au greffe, de faire viser mon permis de communiquer et, accompagné d’un gardien, je me dirigeais vers la cellule de mon pauvre ami quand je rencontrai le directeur de la prison, M. Mazeau que je connaissais depuis longtemps.

Il faisait une ronde générale et il m’arrêta pour me parler de Rouletabille et pour me confier que les affaires de mon client allaient mal. Hélas ! j’en savais aussi long que lui ou tout au moins je le croyais. M. Mazeau est un homme sympathique bien connu de tout Paris et qui, avant d’entrer dans l’administration pénitentiaire, a tenu son petit coin dans les lettres.

C’était une figure de l’ancien Montmartre. Il faisait partie de la noble phalange qui entourait Salis, au Chat-Noir de la rue Laval, aujourd’hui rue Victor-Massé. M. Mazeau avait alors unie belle barbe d’or, un langage fleuri, spirituel et pompeux à l’instar du maître de céans. Ce Salis a fait des élèves qui ont, ma foi, fort bien réussi. Les uns sont arrivés à l’Académie, les autres, comme Mazeau, occupent des postes de toute confiance dans la haute administration, d’autres ont fait leur chemin dans la publicité littéraire. Une figure aussi parisienne que celle-là n’était point ignorée, comme on pense bien, de Rouletabille. Sans faire une paire d’amis, ils s’étaient, autrefois, rencontrés assez souvent autour d’une pile de soucoupes, dans les tavernes gothiques, pour être un peu camarades. C’est ce qui explique le ton véritablement désolé avec lequel M. Mazeau m’entretint de la cruelle situation du grand reporter de l’Époque.

Tout en parlant, il m’accompagnait et nous nous trouvâmes ensemble devant la porte de la cellule de Rouletabille quand le gardien l’ouvrit. Nous ne fûmes pas peu étonnés de trouver cette cellule vide !

Je dois dire, du reste, que M. Mazeau était encore plus stupéfait que moi. Je pouvais penser en effet que c’était l’heure de la promenade dans le préau, enfin je n’avais aucune raison de m’imaginer que parce que Rouletabille n’était point dans sa cellule, il se fût évadé. Mais le directeur qui savait, lui, que son client devait être là ne comprenait pas qu’il n’y fût point et je le vis tout de suite pâlir.

Il appela les gardiens, les surveillants-chefs ; bref il fit un tapage d’enfer, ce qui me parut, au premier abord, assez maladroit car enfin, s’il y avait eu une faute commise, il était de son intérêt d’essayer d’y remédier sans la rendre aussi publique. Rouletabille, après tout, était peut-être encore dans la prison ! Ne pouvait-on point essayer de le rattraper sans toute cette rumeur ?…

Mais M. Mazeau agissait comme si tout fût perdu, et comme s’il tenait, aussi, à faire étalage de sa stupéfaction et de sa colère. Ces façons me revinrent plus tard à l’esprit et je n’en tirai point alors la con-