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LE CRIME DE ROULETABILLE
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demie. Ma hâte était bien compréhensible. Je m’assis et me mis à feuilleter un illustré, quand on sonna à la porte de l’appartement ; j’entendis un murmure de voix et le domestique, ouvrant la porte du salon, fit entrer Mme Boulenger. J’étais heureux de la revoir. Par deux fois j’étais allé chez elle sans avoir eu la chance de la rencontrer, je lui en exprimai mes regrets et elle me répondit qu’elle avait été aussi peinée que moi.

Je la trouvai bien changée, mais singulièrement belle dans sa pâleur. Elle ne devait pas être encore tout à fait remise physiquement de la terrible secousse, mais elle était mise avec une coquetterie qui ne me déplut point, car elle attestait que cette femme avait retrouvé le bonheur ou croyait l’avoir retrouvé, ce qui est souvent la même chose. Elle me parla de son mari avec une tendresse admirable et ne fit allusion au drame de Sainte-Adressé que pour me donner à comprendre qu’elle était prête à subir encore de pareilles affres qui avaient eu un aboutissement aussi heureux, Par un égoïsme naturel au bonheur, elle ne s’intéressa que médiocrement à nos personnes et ne parla d’Ivana que pour regretter qu’elle ne continuât point avec son mari des travaux dont elle avait tiré, elle aussi le plus grand profit.

— Rouletabille est un peu jaloux, me dit-elle avec un bon et triste sourire. Je ne lui en veux pas !… mais j’ai trouvé Ivana bien obéissante. Je voudrais la voir pour lui en faire tous mes compliments !…

Ainsi, cette femme qui nous avait prouvé qu’elle était la meilleure de toutes et que nous savions parée de toutes les vertus et de toutes les délicatesses, ne trouvait point un mot pour nous remercier de tout ce que nous avions fait pour elle et ne semblait retenir à l’égard d’Ivana qu’un peu d’amertume parce que celle-ci avait laissé son mari continuer son effort tout seul. Évidemment, elle n’arrivait pas à comprendre comment on pouvait, quand on avait l’honneur de travailler à côté d’un homme comme Roland Boulenger, se résoudre à le quitter. Ah ! elle l’aimait bien !…

Rouletabille ne rentrait toujours pas. Il était maintenant cinq heures et demie. Elle se leva et prit congé de moi en me disant de l’excuser auprès de mon ami mais qu’il lui fallait être chez elle quand Roland allait rentrer.