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LE CRIME DE ROULETABILLE
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par la femme de ménage, de pénétrer dans la villa. Les autres ont peut-être entendu ouvrir la porte et se sont peut-être trouvés tout à coup devant Thérèse. Il faut admettre que ces trois personnages étaient dans un état à ne mesurer ni leurs gestes ni leurs paroles. Dans son cauchemar d’opium, Roland s’est-il cru menacé ou a-t-il cru que Théodora l’était, ce qui me paraît plus normal ? Le bruit fait à la porte par Thérèse l’avait certainement fait venir avec son révolver… et il ne fait plus de doute, hélas, que le revolver a servi… Il est même à présumer que s’il n’a servi que deux fois, c’est que Thérèse le lui a arraché des mains peut-être… Quand l’agent est arrivé, Roland venait de refermer la porte peut-être… quand il a entendu l’agent, il l’a rouverte !… sûrement…

— Voilà bien des « peut-être » pour un seul « sûrement »… Après tout c’est peut-être Théodora Luigi qui a tiré ? objectai-je, tant cette idée de Roland tirant sur sa femme me semblait monstrueuse.

— Je vais encore te dire une chose, Sainclair ; j’ai bien interrogé Michel, l’agent, je l’ai vidé… et j’en ai interrogé d’autres aussi qui étaient dans le voisinage… Eh bien ! Thérèse n’a pas crié : « À l’assassin ! Roland !… à l’assassin ! » Elle a crié : « Assassin ! Roland !… Assassin !… »

— Le misérable !… Et elle lui pardonne ! Ah ! il peut se trainer à ses pieds ! Mais cette femme est plus qu’une sainte !

— C’est un ange ! exprima Rouletabille… Quant à moi, inutile de te dire qu’aussitôt Thérèse rétablie, j’’emmène Ivana, et « Partons pour la Syrie ! ». Huit jours plus tard, Thérèse était hors de danger… Nous lui avions fait nos adieux. Sur sa prière, Rouletabille lui laissait Ivana quelques jours encore. Avant de rentrer à Paris, mon ami et moi avions fait un tour à Deauville où nous avions quelques objets à prendre aux « Chaumes ». Nous ignorions que, dans ce moment même, Roland fût à la villa. Nous entendîmes soudain sa voix. Il semblait avoir une discussion avec Bernard, son valet de chambre. Il lui disait :

Que voulez-vous, Bernard, si ce revolver est perdu, tant pis ! j’en serai quitte pour en racheter un autre !… et laissez-moi tranquille avec cette histoire-là !

Je regardai Rouletabille et mes lèvres murmurèrent : à l’assassin !…

Tu vas encore trop vite !… me répondit-il, dans un souffle… Tout n’est pas fini !…

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VIII

La Tuerie

Le drame de Sainte-Adresse, comme on le sait, ne fut que le prélude de l’affreuse tuerie de Passy, mais là encore procédons par étapes.

À Paris, je fus quelque temps sans voir Rouletabille. Un jour, je le rencontrai dans la salle des Pas-Perdus. Je la traversais en hâte et tout à fait exceptionnellement, car il n’est point d’usage de se montrer au Palais pendant les vacations. Il revenait du bureau de la Presse judiciaire et nous nous arrêtâmes en nous trouvant en face l’un de l’autre. Nous étions à peu près seuls sous l’immense vaisseau, cependant nos voix avaient là des sonorités qui le gênèrent tout de suite, sans doute pour ce qu’il avait à me dire. Il m’entraîna dans une galerie adjacente en me demandant : « As-tu des nouvelles de Boulenger ? ».

Je lui répondis que j’avais reçu une réponse de Roland à l’une de mes lettres et que j’avais appris ainsi que Mme Boulenger était en pleine convalescence, ce dont, naturellement, je m’étais réjoui.

— À qui avais-tu écrit ?

— À Madame Boulenger. Je t’avouerai que depuis ce que tu m’as fait voir du drame de Sainte-Adresse, j’ai la plus grande répugnance à entretenir des relations avec l’illustre professeur !

— Et c’est lui qui t’a répondu ? As-tu gardé sa lettre ?

— C’est possible, mais je n’en suis pas sûr… mes secrétaires sont en vacances et il y a assez de désordre en ce moment dans mes paperasses.

— Allons chez toi !…

— Tu tiens donc bien à voir cette lettre ?

— Surtout l’enveloppe, si tu l’as encore…

— Ah ! ce coup-ci, tu m’en demandes peut-être trop !

Vingt minutes plus tard, nous étions dans mon cabinet et je retrouvai la lettre dans son enveloppe.

Aussitôt qu’il vit cette enveloppe, Rou-