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LE CHÂTEAU NOIR

— Monsieur, dit Rouletabille, nous étions bien fatigués de notre journée d’hier et nous prenions quelque repos quand on est venu nous inviter de la part de Kara Selim…

— Oui, nous étions encore tout endormis, ajouta La Candeur, si bien, monsieur, que j’ai oublié mon mouchoir de poche et que je retourne le chercher, si vous n’y voyez aucun inconvénient.

— Jamais de la vie !… Vous vous moucherez dans votre serviette, » répliqua cet homme sale et tyrannique, qui, aidé de ce grand brutal de Stefo le Dalmate, poussa les deux jeunes gens dans la salle du banquet.

Quant à Kasbeck, qui avait aperçu deux habits à l’européenne, et qui s’était fait aussitôt renseigner sur les voyageurs, il voulut qu’on lui présentât tout de suite les journalistes.

Rouletabille fut très heureux de faire la connaissance de ce majestueux et brave eunuque, auquel il allait pouvoir demander quelques précieux renseignements sur la marche de la cérémonie.

Rouletabille avait besoin de savoir, dans le détail, comment on se marie en Turquie. Kasbeck, justement, ne lui marchanda point son bavardage. L’eunuque était surtout fier de montrer sa pure science de la langue française et de vanter les mœurs turques, dont il faisait la condition du bonheur parmi les hommes.

En même temps, il sirotait doucement un petit verre d’alcool, ce qui n’est point absolument défendu par le Prophète, qui n’a pensé qu’au jus de la vigne…

« Ce qu’il y a d’admirable chez vous autres Orientaux, dit Rouletabille, c’est votre philosophie…

— Certes oui !… Cela même est une condition du bonheur… C’est pourquoi je ne crois pas que Kara Selim soit jamais heureux, fit-il. Il est resté un homme de l’Occident et ne sait que courir les aventures nouvelles… Il se remue trop. Il n’est pas assez gras !… Regardez-moi la figure qu’il fait : il est sinistre.

— Il trouve peut-être que nous l’ennuyons, dit le re-