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LE CHÂTEAU NOIR

« Mon cher Kasbeck, tenta encore Kara Selim… j’ai un eunuque nubien, étonnant, rarissime… qui ferait très bien à la porte d’un harem de Galata ; il est grand, a des moustaches énormes, il ferait honneur à son maître avec un costume rouge et or et des pistolets à sa ceinture, je vous assure…

— Rien du tout… »

Les esclaves hommes disparurent en silence comme avaient disparu les femmes… et les officiers de Kara Selim, et les serviteurs quittèrent aussi la cour… Il ne resta plus dans le grand quadrilatère sinistre que Gaulow qui était pourtant au bout de sa patience ; cela se voyait au froncement de ses sourcils, à l’éclair cruel de son regard quand Kasbeck lui tournait le dos.

« Ce n’est pas moi qui ne suis pas raisonnable ! » répondit Kasbeck en prenant le bras de Gaulow et en l’entraînant au fond de la cour, c’est lui, le Seigneur !… »

Et il ajouta : « Sommes-nous tranquilles ici pour causer ?

— Oui, répondit Gaulow… plus tranquilles que dans mon Selamlik, où il y a toujours des oreilles derrière les portes… Mais parlez vite, mon cher… car je vous ai dit que je me mariais, et l’on n’attend plus que moi pour que la fête commence !

— Kara Selim, tu te maries avec Ivana ! tu fais une faute ! Il serait devenu fou d’Ivana !… Il l’est déjà ! Il ne vit plus qu’avec sa photographie, celle que tu m’as envoyée et que tu avais pu dérober, il y a cinq ans ! Sur cette image, c’est étonnant comme cette Ivana ressemble à son Irène !… On dirait sa sœur jumelle… et tu sais s’il l’aimait celle-là !…

— Pourquoi l’a-t-il tuée ?…

— Tu sais bien qu’elle le trompait avec Mehmed bey : double crime, celui de l’adultère et celui de commettre cet adultère avec un jeune Turc qui conspirait contre Abdul-Hamid ! Le sac de cuir était tout indiqué. Mais après, ce qu’il l’a regrettée !… Ce qu’il l’a pleurée, son Irène !… Aucune autre n’a pu la lui faire