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LE CHÂTEAU NOIR

— Et du poivre !… Mais alors, Modeste, tout n’est pas perdu !…

— Non ! non ! et de la moutarde !…

— De la moutarde ? Vous ne me le disiez pas !… Et c’est tout ?

— Oui, monsieur, avec un fond de bouteille d’huile !

— Eh mais ! si nous ne pouvons faire le potage avec cela, nous pouvons au moins tenter une salade !…

— Eh, monsieur, j’y avais bien pensé… Mais une salade, ça se mange cru, et j’ai bien peur que ce que j’ai à vous offrir comme salade ne soit trop indigeste…

— Tu as quelque chose à nous offrir comme salade ?

— À force de chercher, j’ai déniché dans un coin un vieux pot de géranium !… »

À ce moment, La Candeur, qui avait disparu vers la fin de la bataille en déclarant que le spectacle de la guerre lui faisait horreur, se présenta dans un costume inattendu : il était en habit noir avec une serviette sur le ventre qui lui servait de tablier et une autre serviette sur le bras qui achevait de lui donner le type traditionnel du garçon de restaurant.

« Si ces messieurs et dames veulent passer à table, dit-il, ils sont servis ! »

Rouletabille soulevait des paupières en capote de cabriolet.

« Est-ce que tu deviens fou ? » dit-il.

Mais Vladimir, lui, n’avait nullement l’air étonné, et, offrant son bras à Ivana qui l’accepta, en riant, comme si elle se prêtait à une plaisanterie, il passa devant.

« Ma foi, dit Rouletabille, on verra bien ! suivons-les ! Mais je trouve que l’on fait bien des cérémonies pour une salade de géraniums !… »

La Candeur précédait le cortège. Ils descendirent un étage, deux étages. En passant devant la porte des Allemands, Rouletabille dit :

« C’est extraordinaire, on ne les entend plus ! Sont-ils morts ? Ils ne réclament même pas à manger !