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OÙ L’ON VOIT APPARAITRE…

gestes et aux mots qu’il put discerner lorsque les deux interlocuteurs, dans leur promenade enfiévrée, passaient à portée de son ouïe, il crut comprendre que l’eunuque se refusait à entrer dans le détail d’un marché qui ne lui convenait pas.

C’est en vain que Gaulow voulait attirer l’attention de Kasbeck du côté des galeries où les serviteurs venaient de faire ranger un lot de belles esclaves qui se présentaient le visage découvert, souriant de toutes leurs dents qu’elles avaient éclatantes, et le regard brillant. Elles étaient, pour la plupart, fort convenablement vêtues d’étoffes de damas et de mousselines de Brousse dont elles s’étaient parées avec coquetterie.

Certes, toutes n’auraient pu faire des odalisques, car il faut beaucoup de choses pour cela et des qualités qui ne s’acquièrent point sans une grande volonté ni sans un travail prolongé, mais la plupart étaient capables de tenir leur rang comme esclaves dans des maisons importantes, et de devenir kjajakadine (première dame de compagnie) avec de la conduite ; et même, celles qui savent compter, haznadarousta (trésorière). C’était leur rêve, du reste : celui qu’on avait fait entrevoir à ces demoiselles et à leurs parents avant de les acheter en Circassie, chez les Kurdes ou dans les plaines d’Anatolie, car celles que l’on volait étaient les plus rares et venaient alors presque toutes de la haute Arménie.

Cette bonne volonté dans l’esclavage et l’avenir qui leur était promis rendait tous ces visages presque gais. Rouletabille, qui avait vu de tristes hordes bousculées sur les marches de l’Atlas, en Mauritanie, ne retrouvait point cette impression d’angoisse, de révolte et de pitié qu’il avait ressentie jadis au spectacle de l’encan humain.

Pendant ce temps, Kasbeck, de plus en plus têtu, continuait à ne vouloir rien entendre :

« J’ai là tout ce qu’il vous faut ! disait Gaulow avec une patience bien surprenante et en essayant de séduire