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CE QUE ROULETABILLE,…

Il put croire un moment qu’il n’aimerait plus, qu’il n’aimerait jamais plus Ivana. Ceci n’était plus d’une créature humaine.

Et il fallut, pour qu’il revînt d’un tel sentiment d’horreur, qu’aux cris rauques et aux syllabes incompréhensibles qu’elle crachait sur le prisonnier, succédassent les phrases terribles d’un réquisitoire haletant, lequel ressuscitait le passé et tous les crimes de cet homme.

Elle lui jetait par paquets !… du fond des ténèbres, elle lui apportait les corps de ses victimes… les entrailles traînantes des malheureux qu’avait éventrés son sabre de reitre, tous les fantômes crevés de blessures que le bandit de l’Istrandja-Dagh avait envoyés aux enfers… Elle faisait crier contre lui les derniers râles et les dernières malédictions… Elle faisait soupirer la petite Irène, morte noyée dans son sac de cuir, au fond du Bosphore !… Elle rappelait au monstre les prières de sa mère à genoux qu’il abattait sans merci…

Alors, Rouletabille se souvenant que, quelques minutes auparavant, cette enfant pouvait permettre à cet homme de poser ses lèvres sur les siennes, parce qu’il y allait peut-être du salut de son pays, lui pardonna sa ruée farouche et ses gestes dévorants de louve…

Eût-il voulu qu’elle ne fût point remuée quasi jusqu’à la folie par un si prodigieux et inattendu bouleversement de tout ! Il était là, à sa disposition, vaincu, ce Gaulow qui, quelques minutes auparavant, parlait en maître ! Et c’était elle, maintenant, qui pouvait faire de lui tout ce qu’elle voulait !.. Tout ce qu’elle voulait… Elle ne se demandait point comment ces choses étaient arrivées !… ni quel exécuteur des hautes œuvres de la Providence avait apporté dans ce cachot ce corps abhorré dont elle allait pouvoir faire tout ce qu’elle voulait !… Tout ce qu’elle voulait !…

Ce fut simple : comme elle en était arrivée à une crise de larmes où revenait sans cesse le nom de sa mère assassinée, elle se jeta tout à coup sur la poignée de la