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Jean y tombe. Étreinte.) Tu me pardonnes donc !… Ah ! tu as bien fait de venir ! Mon ami ! mon premier ami ! Tu sais qu’elle s’en va !… Elle ne veut même plus me revoir !

Leperrier. — Mon pauvre Jean ! Nanette m’a tout dit.

Jean. — Nanette ! J’ai failli la tuer !

Leperrier. — Quand elle est arrivée chez moi, je ne la reconnaissais pas… Elle m’a dit que tu l’avais frappée… chassée… que tu lui avais ordonné de venir se jeter à mes pieds… Elle s’y est roulée… Si tu la chasses définitivement, elle se tuera !

Jean. — Oui ! Elle m’aime trop ! Ah ! la misérable !

Leperrier. — Et tu ne t’étais jamais douté ?…

Jean. — Tais-toi !… tais-toi… Cette vieille servante était jalouse de moi, comme si elle avait été ma femme, et du cœur de Petit-Pierre, comme si elle avait été sa mère ! C’est affreux !… Ah ! nous sommes de pauvres gens !… Quand je songe qu’il n’a fallu qu’une première astuce à cette créature pour obscurcir une amitié éclairée comme la nôtre et pour broyer mon cœur, tout plein de Béatrice.

Leperrier. — Oui ! Nous sommes de pauvres gens. Tu as cru cette femme et tu ne m’as pas cru, et moi, moi, je n’ai pas pu trouver les mots qui t’auraient sauvé de l’erreur… Et nous sommes des juges !…

Jean. — Je ne t’écoutais pas… Tu parlais, mais je ne t’écoutais pas… j’avais les preuves ! Tu sais bien, Leperrier, ce que c’est quand nous croyons avoir les preuves. Nous ne voyons plus rien, nous n’entendons plus rien de ce qui pourrait nous prouver que nous ne les avons pas !… Ah ! quelle misère !

Leperrier. — Comment as-tu su ? Comment as-tu été détrompé ?

Jean. — Figure-toi que, depuis quelques jours, il s’était produit des choses qui faisaient que je n’avais plus aucune certitude en moi. L’attitude de Nanette, la haine de Nanette pour Béatrice qui allait jusqu’à vouloir me donner des soupçons sur… sur Marie-Louis. Oui !… c’était fou ! Comme elle m’en avait donné autrefois sur toi !… Allais-je douter ? Je me traitais de lâche, car j’aime tant Béatrice que je me disais que c’était mon amour qui me faisait douter… quand est arrivée la catastrophe !