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Le Réquisiteur général. — J’en parlerai au président. Et, au procès… qui mettrons-nous à la place de Jean ?

Le Grand Réquisiteur. — Ça n’a pas d’importance !

Le Réquisiteur général. — Énorme, au contraire !

Le Grand Réquisiteur. — Oui, vous avez raison. Il ne faut pas que le jury nous donne la tête de ce Tiphaine-là !… Il nous faudrait un avocat général qui le fit presque acquitter !

Le Réquisiteur général. — J’ai songé à Panel !

Le Grand Réquisiteur. — Admirable ! Il parlera pendant sept heures, et c’est lui que les jurés voudront condamner à mort !

Le Réquisiteur général. — On pourrait aussi conseiller au président des assises de n’accorder qu’une suspension d’audience de cinq minutes. Personne n’aurait le temps d’aller au buffet. J’ai déjà remarqué que le jury était très mal disposé pour la cour et le ministère public quand il avait faim !

Le Grand Réquisiteur, souriant. — Vous pensez à tout, monsieur le réquisiteur général.

Le Réquisiteur général. — C’est qu’avec les jurés il ne faut rien négliger. Me  Lenty a sauvé un jour la tête de son client en priant à haute voix l’huissier de fermer, au-dessus du chef du jury, une fenêtre qui faisait courant d’air. C’était un grand avocat !

Le Grand Réquisiteur. — Et vous, vous êtes un grand magistrat. Voyez-vous, monsieur le réquisiteur général, un grand magistrat se reconnaît moins à ce qu’il mène à bien une affaire qu’à ce qu’il l’empêche d’éclater.


Scène II

Les mêmes, JEAN, par la porte du dernier plan, à droite. Il est vieilli, en une nuit, de dix ans

Le Réquisiteur général. — Mon pauvre ami !

Le Grand Réquisiteur. — Croyez bien que nous partageons votre peine, monsieur l’avocat général.

Jean, les remercie d’un signe de tête, et, leur montrant des sièges. — Messieurs, pardonnez-moi, si je vous ai fait attendre…