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vais en tremblant des réquisitoires qui me rappelaient mes devoirs du collège !… Quand je vis tomber ma première tête… j’eus peur et devins sévère pour moi-même, et dur pour les autres. Je m’astreignis à cette époque à plus de vertu que tu n’en pourras jamais imaginer, tu entends, toi, Jean ? Ma seconde image ! Mon second cœur de juge !… Le jour devait venir cependant, jour que tu connaîtras (À Jean.) où le ciel m’envoya une telle souffrance, que je connus la pitié !… La justice alors m’apparut comme une bonne mère, et je ne frappais plus en son nom qu’avec douceur. Ce fut une étape charmante à laquelle je ne m’attardai point cependant, comme tu l’as fait, toi, le premier de mes enfants, Louis, vieillard plein de sérénité qui crois ta route accomplie !… Il y a une quatrième étape, mais elle est terrible à franchir ! Oseras-tu ? Après avoir frappé avec hésitation, à cause des fautes de ta jeunesse, avec sang-froid, à cause de la raison de ton âge mûr, avec pitié, à cause de l’expérience de ton déclin, après avoir frappé pendant ces trois étapes, au nom de la justice, oserais-tu, comme moi, aller jusqu’à cette étape suprême où tu, demanderas ce que c’est que la justice des hommes, où tu la chercheras, où tu ne la trouveras pas, où dans la sincérité et dans le silence immense de ton cœur, tu la proclameras toujours mensongère et toujours impossible, et où cependant, appelé par le destin dans un poste d’où dépend la paix des sociétés, puisque tu es juge, et puisqu’il n’y a pas de justice, tu frapperas sans justice !… Oseras-tu cela ?… Je l’ai osé ! Et de ce que j’ai osé cela, qui est effrayant, voilà que les trois Pétrus de ma jeunesse ne lâchent plus le vieux Pétrus ! Mais je leur réponds : « Ce que j’ai fait n’est pas plus effrayant que ce que vous faites ! Vous faites votre devoir de magistrat, et j’ai fait le mien ! Mon crime était mon devoir !… »

Le Président. — Mais où est notre crime, à nous, mon père !… C’est donc un crime de juger les hommes ?

L’Ancêtre. — Le crime, mon enfant, n’est point d’emprisonner les hommes, ni de les tuer ; le crime est de les tuer et de les emprisonner au nom de la justice !… La justice n’a rien à faire là-dedans !… Eh !… ne vous révoltez pas, les trois Pétrus de ma jeunesse !