Page:Leroux - La maison des juges.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52

dénoncée… Ils voulaient me chasser ! C’est vrai, j’étais trop gaie !… (s’apitoyant) trop jeune… trop heureuse de vivre… Je faisais sans doute trop de bruit dans leur tombeau !… Mais je vais m’en aller… je ne veux plus les voir, ni eux, ni vous, ni mon mari, ni mon enfant… (Elle pleure.) Je vais m’en aller toute seule, toute seule.

Marie-Louis. — Jean !… Aie pitié…

Le Président. — Pardonne…

On entend les sanglots de Béatrice.

Marie-Louis. — Ah ! oui… Je ne peux plus la voir souffrir…

Béatrice, dans ses larmes. — Je vais partir…

Jean, à Marie-Louis. — Tu ne peux plus la voir souffrir…

Marie-Louis. — C’est trop… et toi aussi, tu pleures. Tu vois bien que tu pleures… Pardonne, puisque tu l’aimes encore…

Jean. — C’est vrai !… Je l’aime encore ! Ah ! Tu as deviné cela, toi !

Marie-Louis. — Ouvre-lui tes bras !…

Jean. — C’est toi, c’est toi qui me dis cela ? Béatrice !

Il s’approche d’elle.

Béatrice, se levant. — Non ! Non ! Adieu !… Je ne veux plus vous entendre, c’est fini !… (Avec une résolution farouche.) Je ne veux plus vous voir… je ne veux plus voir cette maison, ni celle d’en face ! (Elle montre le Palais de justice.) Ah ! sortir de l’ombre… de l’ombre de ces tours, qui ne me quitte pas… de quelque côté que l’on se tourne, ici, on les aperçoit… Quand on voudrait oublier que l’on est dans la maison des juges et qu’on lève la tête, c’est le Palais de justice que l’on regarde !… Ah ! comme je les hais, ces tours sinistres, qui me rappellent à toute heure du jour et souvent de la nuit votre plus sinistre métier !… Ne plus les voir !… Tenez, plutôt que de rester ici, je préférerais être enfermée dans ces tours… pour ne plus les voir ! Oui ! la Conciergerie plutôt que la maison des juges !

Jean. — Béatrice…

Béatrice, continuant. — … Plutôt que la maison des juges !… Entendez-vous bien, Jean ? Sachez que vous m’avez rendue si malheureuse, que j’ai envié le sort des misérables qui pleurent derrière ces pierres… Au moins, de temps à autre, la clémence des geôliers