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Jean. — Il n’y a pas autre chose… mon père… il ne faut pas qu’il y ait autre chose !

Béatrice, au président. — Ne cherchez pas… je vais vous expliquer sa colère… Elle venait de ce qu’il m’a surprise, rapportant du dehors, dans cette mortelle demeure, un peu de vie et un peu de clarté, — de ce qu’il m’a entendu rire, moi qui n’ai pas ri depuis quatre ans !… Mais maintenant, voyez-vous, je rirai tous les jours ! Oui, j’ai décidé cela… Même quand on criera ce que vous savez dans les rues, contre la maison des juges ! Qu’est-ce que me fait votre maison, à moi ? J’ai assez souffert, je ne veux plus souffrir…

Le Président. — Mais, ma pauvre enfant, on vous torture donc ?

Béatrice. — Vous me le demandez ? Vous, le meilleur de tous, vous avez assisté à cette torture comme si elle m’était due, comme si c’était un spectacle de justice ?…

Le Président. — Je vous ai conseillé une longue patience, Béatrice, et de tout espérer du temps. Que pouvais-je faire de plus ?

Marie-Louis. — Il faut faire quelque chose de plus, mon père… Il faut dire à Jean que le martyre de Béatrice a assez duré… il faut lui dire qu’il est temps qu’il se souvienne qu’avant d’être un juge, il est un homme… dites-lui que nous attendons, après tant d’années d’expiation, un mot de pitié pour Béatrice… que tous nous souffrons ici du malheur qui les sépare… qu’il a assez souffert, lui aussi… car il souffre, car il souffre… N’est-ce pas, Jean, que tu souffres ?

Jean détourne la tête.

Le Président, à Jean. — Mon fils… Tu n’oublieras donc jamais ?

Béatrice. — Que voulez-vous lui faire oublier ?

Le Président. — Écoute-moi, Jean, on n’a pas le droit…

Jean. — Je ne sais pas si l’on a le droit… mais, moi, je me rappelle un jour terrible où j’ai eu le devoir…

Béatrice. — Le devoir de vous tromper et de me frapper sans pitié !

Marie-Louis. — Béatrice, laissez mon père parler à Jean…