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Maître Aga. — Oh ! je sais… Vous êtes dans la période de l’examen de conscience… Ça vous passera… Tenez, voici votre père, Marie-Louis, nous allons lui faire présider le conflit, voulez-vous ?

Marie-Louis. — Je ne demande pas mieux…


Scène IV

LES MÊMES, plus LE PRÉSIDENT

Il entre par la porte du premier plan, à gauche.

Le Président. — De quoi s’agit-il ?

Il s’assied auprès de Mme Lambert et lui prend les mains dans les siennes.

Maître Aga. — De savoir si, pour être bon juge, il faut être en état de grâce…

Marie-Louis. — Oui, mon père… je prétends, et cela me semble tout naturel, non seulement qu’il faut souhaiter au juge une conscience pure, mais encore que celle-ci lui est nécessaire pour bien juger.

Le Président. — Mes enfants, vous agitez des problèmes bien graves… j’aimerais mieux vous voir jouer au nain jaune.

Mme Lambert. — Nous revenons de patiner… On peut bien s’instruire… Allons, répondez un peu, pour voir…

Le Président. — Eh bien, je vais vous répondre en toute sincérité… Il n’est heureusement pas nécessaire d’avoir une conscience pure pour rendre la justice, sans quoi je n’aurais jamais osé m’asseoir au tribunal, et il est inutile de la souhaiter, parce qu’elle est impossible.

Maître Aga. — Bravo ! j’ai gagné…

Mme Lambert. — C’est de la franchise, ou je ne m’y connais pas !

Marie-Louis. — Mais, mon père, je ne comprends plus… je ne comprends plus…

Le Président. — Mais comprends donc, mon fils, que la justice est éternelle et objective. C’est en son nom que l’on absout et que l’on condamne, et point au nom du magistrat qui n’est qu’un homme, c’est-à-dire une montagne de péchés. Par les paroles sacramentelles de la Loi, le magistrat fait descendre la justice dans le prétoire, comme le pitre fait descendre Dieu sur l’autel par les paroles sacramentelles de l’Église. Le juge peut être un diable et le prêtre un démon, rien n’empêchera la justice d’être là, ni Dieu !