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qu’il est sincère… Compter sur moi, c’est un jeu d’enfant. Tout le monde sera content.

Mme  Lambert. — Je vous vois d’ici… Vous avez vu plaider Me  Aga, Béatrice ?

Béatrice. — Jamais.

Mme  Lambert. — Ce sera une occasion. Il est très bien… Seulement un peu trop de gestes… trop d’effets de manche… On dirait une Loïe Fuller en deuil…

Maître Aga. — La psychologie de mon client est d’une simplicité qui touche à la niaiserie. On n’a pas dans sa famille trois guillotinés politique sans qu’un pareil antécédent ne vous fasse perdre un peu la tête : si, à cet antécédent, s’ajoute le fait qu’on est le fils peu fortuné d’un père qui est mort de faim, on est tout prêt à se montrer injuste envers la société, que l’on rend responsable d’un tas de malheurs, dont il ne faudrait accuser que le destin ! Imaginez que j’aie avec cela une bombe dans ma poche et que le fils du magistrat, premier auteur de tant de maux, soit président de chambre à la Cour de cassation, vous comprendrez pourquoi, l’autre jour, à la chambre des requêtes, on a cassé la patte à un pauvre garde municipal qui reste le seul, dans toute cette histoire, à ne comprendre rien du tout !

Marie-Louis. — Tout vous fait rire, Aga…

Maître Aga. — Et vous, tout vous fait peur…

Marie-Louis. — C’est vrai… Vous parlez de votre client avec une désinvolture qui ne sera égalée que par l’intérêt lyrique que vous manifesterez pour lui à l’audience, et vous m’en voyez tout déconcerté… Quand vous avez ces grands accents…

Mme  Lambert. — … de trompette…

Maître Aga, souriant. — Laissez-le dire…

Marie-Louis. — …ces accents qui m’ont profondément remué, moi, plusieurs fois… ce n’étaient donc, comme le dit Mme  Lambert, que des accents de trompette… ils ne venaient pas du cœur…

Maître Aga. — Mais, mon cher, si tous mes accents devaient venir du cœur, depuis que je plaide, j’aurais une lésion cardiaque !…

Marie-Louis. — Vous croyez rarement à ce que vous dites ?

Maître Aga. — Jamais ! Ou plutôt ce que je dis et ce que je crois ont si peu de chose à faire ensemble que je ne tente jamais une rencontre. Dans notre métier,