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Maître Aga. — Il a été appelé au Conseil… Ses confrères lui ont fait honte de sa conduite. On lui a fait comprendre que, si sa nature le poussait à jeter le trouble dans les ménages, il y avait d’autres ménages que les ménages d’avocat…

Marie-Louis. — Aga ! Aga ! Mme Lambert est capable de vous croire.

Maître Aga. — Mais je n’exagère rien. Du reste, vous avez été avocat et vous devez savoir jusqu’où va la tyrannie du Conseil de l’ordre…

Marie-Louis. — Peut-être. Il n’empêche que le privilège des avocats a du bon. Vous ne pouvez nier qu’il donne au public des garanties exceptionnelles et le débarrasse des hommes d’affaires…

Maître Aga. — Il le débarrasse des hommes d’affaires ! Eh bien ! Et nous, qu’est-ce que nous sommes, si nous ne sommes pas des hommes d’affaires ? On vient nous trouver que lorsqu’on a une affaire !…

Marie-Louis. — Oui, mais vous ne devez l’accepter que lorsqu’elle est honorable.

Maître Aga. — Enfant ! Avec votre système, il n’y aurait jamais qu’un avocat à la barre et il y en a toujours deux qui prétendent, chacun, que l’affaire de l’autre n’est pas honorable du tout ! Et il est « honoré » pour le dire, car nous ne sommes pas payés, nous sommes « honorés », et nous ne pouvons réclamer ces honoraires comme si ces honoraires étaient déshonorants ! Nous sommes à empailler ! Quand je songe que je n’ai pas le droit d’écrire à un client pour lui réclamer le prix de mon travail !…

Mme Lambert. — Comment faites-vous ?

Maître Aga. — Quand il ne s’est pas encore exécuté, la veille du procès, je lui envoie un petit bleu dont les termes ne varient guère : « Je vous attends demain matin à mon cabinet, apportez les pièces. » Et le client, après s’être demandé à quelles pièces il peut bien être fait allusion, puisqu’il les a données toutes, finit par comprendre qu’il s’agit des pièces de cent sous !

Mme Lambert. — Très ingénieux !

Maître Aga. — Oui, madame, nous en sommes encore là. Oh ! vous ne savez pas jusqu’où ça peut aller ? Cent ans après la Révolution, je ne puis manger une choucroute à Montmartre, à trois heures du matin, sans redouter les foudres du Conseil de l’ordre ! Demandez à Marie-Louis. Il connaît son « Cresson ».