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Jean, de plus en plus menaçant. — Et alors, parce que tu as vu « son lit vide et un homme qui allait coller son oreille contre la porte de ta maîtresse, tu en as conclu que, cet homme, c’était lui ? » (Nanette se tait.) Réponds… mais réponds donc ? (Nanette fait un signe affirmatif de la tête.) C’était lui ?

Nanette, avec force. — Je suis sûre que c’était lui…

Jean. — Tu mens !… C’était moi !

Long silence entre Nanette et Jean.

Nanette, timidement. — Vous aussi, vous aviez donc pensé ?…

Jean, se passant la main sur le front. — Nanette, tu ferais naître des soupçons dans les cœurs les plus simples, dans les consciences les plus droites ; les criminels soupçons, je les hais !… Et toi, tu les aimes, on dirait que tu les réchauffes avec joie, ces vilains oiseaux… Chaque fois que tu m’approches, tu en as sur toi, tu en apportes avec toi, tu les lâches autour de moi… J’ai beau vouloir les chasser, ils reviennent, repartent et reviennent ! (Se parlant à lui-même.) Comme des oiseaux de nuit, les soupçons volent autour de mon cœur !

Nanette. — Je ne pense qu’à votre bonheur, mon maître.

Jean. — Mais tu ne sais donc pas que je ne dois soupçonner rien ni personne… Un juge ne doit pas soupçonner… car alors, il condamnerait son père… et son aïeul… et sa mère !… Enferme tes soupçons dans une cage et emporte-les !

Nanette. — Le lit était vide…

Jean, avec furie. — Tu ne comprends rien !… Son lit était vide, mais la porte de sa chambre était ouverte… Il aurait fermé la porte de sa chambre, s’il avait été coupable… (Un silence.) C’était moi qui étais derrière la porte et je l’ai vu, lui, rentrer à l’aube de la ville… Il est jeune ! Ah ! me l’avoir fait soupçonner, m’avoir mis ça dans le cœur !

Nanette. — Vous savez bien que c’est une femme qui est capable de tout !

Jean. — Tu me l’as prouvé une fois, ça suffit. Oui, oui… c’est assez ! Si tu me l’as prouvé comme ce soir… c’est peut-être trop. (Avec égarement.) Quant à lui, je te défends… mon frère !… mon petit frère !… presque mon fils !…

Nanette. — Je m’en vais.