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Marie-Louis. — Ah !…

Béatrice. — Oui, je lui ai dit des choses que j’avais sur le cœur depuis quatre ans… Votre frère est un bourreau, Marie-Louis.

Marie-Louis. — Oh ! Béatrice, mon frère est un honnête homme !

Béatrice. — Les bourreaux sont d’honnêtes gens.

Marie-Louis. — Je sais que vous êtes très malheureuse.

Béatrice. — Trop… Aussi, je suis décidée à partir. C’est ce que je voulais vous dire Marie-Louis.

Marie-Louis, très ému. — Vous allez nous quitter !… Ça n’est pas possible… Je ne vous verrai plus !…

Béatrice. — Pourquoi rester plus longtemps !… personne ne m’aime ici !…

Marie-Louis, douloureux. — Personne ne vous aime… (Se ressaisissant.) … et votre enfant ?

Béatrice. — Ah ! le petit juge que j’ai mis au monde !

Marie-Louis. — Vous ne pouvez pas le quitter ?

Béatrice, amère. — C’est lui qui me quitte !… Non, non, personne ne peut plus me retenir !

Marie-Louis. — Pas même mes prières !… Béatrice, patientez encore, je vous en supplie !… Je ne veux pas que vous partiez… Si, aujourd’hui, vous êtes coupable aux yeux de mon frère, vous ne le serez pas toujours… Et, s’il ne revient pas sur son erreur, il pardonnera, il oubliera… toute cette misère ne peut durer… Moi, je vous aime bien… Je parlerai à mon frère, à mon père, à votre enfant… Je ferai tout pour que vous soyez moins malheureuse… mais ne partez pas !

Béatrice. — Je ne peux plus !… Je ne peux plus. C’est trop d’injustice !…

Marie-Louis. — Il y a d’autres injustices ici-bas, auprès desquelles celle contre laquelle vous vous révoltez est une douleur d’enfant, des injustices qui ne cesseront jamais, jamais… et cependant elles font leur route sur la terre sans maudire Dieu ni les hommes… elles restent…

Béatrice. — Que voulez-vous dire ?

Marie-Louis. — Les âmes les plus éprouvées passent auprès d’elles sans les soupçonner, sans les reconnaître comme des sœurs. Ah ! ces injustices-là, Béatrice, la plus vaste erreur des hommes n’en peut commettre de pareilles.