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avec transport… Quand elle me regarda une dernière fois… et puis, ce fut la chose !… Ah ! dites-moi donc, vous autres, comment vous faites pour frapper les hommes sans remords !… Moi, je suis un enfant, qui ne sait pas… instruisez-moi, consolez-moi, soutenez-moi.. Je viens à toi, Jean, je viens à vous tous, les juges de la maison de mon père !…

Béatrice. — Marie-Louis… Marie-Louis…

Marie-Louis, se retournant. — Qui donc ici pleure avec moi ?… (Apercevant Béatrice.) C’est vrai, vous étiez là, Béatrice ?…

Jean. — Comme je te plains, Marie-Louis !…

Il lui serre tes mains.

Marie-Louis. — J’ai peut-être été bien coupable, Jean, mais je suis venu ici pour t’entendre. Sois sévère pour moi, aussi dur que tu l’es pour toi-même.

Jean. — Il y a des heures où c’est une chose affreuse, que d’être magistrat..

Marie-Louis. — …Affreuse…

Jean. — Affreuse… et difficile… Tu me dis qu’il est de ton âge de se distraire. Il n’est donc point de ton âge d’être juge ? Prends-tu la justice pour une distraction ?

Marie-Louis. — Plains-moi, car si tu savais ce que ce désordre passager cache d’anxiété et de désespoir…

Jean. — C’est donc que ta conscience est dans un singulier état.

Marie-Louis. — Peut-être…

Jean. — Comment veux-tu juger si tu ne peux t’appuyer de toute ta force sur ta conscience ? Il faut te faire une conscience de granit, Marie-Louis… Mon pauvre enfant, crois-tu donc que c’est assez de te vêtir d’une robe pour être un juge ? Oh ! certes… je vois tous les jours des hommes que, ni la grandeur de leur esprit, ni la pureté de leurs mœurs, ne distinguent des autres hommes ; ils passent dans la vie, avec les passions et les crimes quotidiens de chacun, ils s’affublent de quelques oripeaux, et on les appelle des juges !

Marie-Louis. — Je suis de ceux-là ! Hélas !

Jean. — Au nom de quoi jugent-ils et frappent-ils ? De quel droit vont-ils exiger des autres une vertu qui leur est étrangère ?… Et par quel artifice ceux-là dont le cœur, l’esprit et la conscience sont prostitués, se guideront-ils entre ces deux pôles du monde : le pur