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quelque chose de terrible avec cet enfant que j’ai fait guillotiner ce matin… Toi qui es si fort, si sûr de toi, si maître de ta conscience, Jean, écoute-moi, écoute-moi bien !

Jean. — Parle, Marie-Louis.

Marie-Louis. — Voici. La nuit dernière, après m’être entendu sur l’heure et le lieu avec l’exécuteur des hautes œuvres, je montai dans ma chambre.

Jean. — Où t’attendait ta maîtresse.

Marie-Louis, avec un mouvement brusque. — Je n’ai pas de maîtresse, Jean, mais comment sais-tu cela ? fait, une femme était dans ma chambre.

Jean. — Je sais que, depuis quelque temps, tu mènes une vie joyeuse !

Marie-Louis. — Joyeuse ! Ah ! tu as des mots malheureux ! Je n’ai jamais été aussi triste que depuis que je mène cette vie-là. Oui, c’est vrai, je n’ai pas une maîtresse… j’ai depuis quelque temps des maîtresses… (Avec ironie.) Ne suis-je pas d’un âge à me distraire ?… J’ai besoin de beaucoup de distraction… Et puis… et puis. (Avec une grande amertume.) Vois-tu… je suis toujours étonné… Oh ! je veux te dire cela pour que tu regrettes amèrement d’avoir fait allusion à cette chose… et que tu ne m’en parles plus jamais… je suis toujours étonné de trouver une femme dans mon lit…

Il se cache la figure de ses mains.

Jean, se levant et lui prenant la main. — Marie-Louis… pardon !

Marie-Louis, reprenant son récit. — Je montai donc dans ma chambre. Ma maîtresse comme tu dis, une femme que j’avais fait venir de Paris pour cette nuit-là, dormait. N’est-ce pas étrange, Jean, que j’aie voulu avoir dans mon lit, à l’heure où je m’apprêtais à faire tomber la tête d’un homme, cette fille. Non, Jean, non, ce n’est pas étrange. Je croyais alors que c’était de la forfanterie, c’était encore de la peur ! Je ne la réveillai point. Quelle nuit ! Car je songeais à la nuit de l’autre, et je me l’imaginais les yeux grands ouverts, dans les ténèbres, comme les miens… Dehors, dans le silence de toutes choses, le vol des heures venait frapper d’un même coup d’aile, aux fenêtres de ma chambre et aux vitres de sa cellule. Il me semblait que ma pensée habitait son cerveau et que c’était moi qui avais la terreur